dimanche 5 juillet 2015

ALGERIE: LE SEMIS DIRECT, UNE REVOLUTION TECHNIQUE EN AGRICULTURE.

LE SEMIS DIRECT, UNE REVOLUTION TECHNIQUE EN AGRICULTURE.
Djamel BELAID djam.bel@voila.fr Texte r é-actualisé le 27.06.2015

Traditionnellement, avant de semer des céréales, l'agriculteur procède au labour de sa parcelle. Des agronomes algériens proposent de s'affranchir de cette étape couteuse en temps et en moyens matériels pour procéder directement au semis. C'est la technique du semis direct. Depuis 5 ans, dans les régions de Sétif, Oum El Bouaghi, Guelma ou Annaba, des EAC et EAI se sont déjà convertis à cette nouvelle pratique. Dans la région de Constantine, c'est le cas de grandes exploitations céréalières privées de plusieurs centaines d'hectares. On compte déjà une vingtaine de semoirs pour semis direct sur le terrain. Près de 7000 hectares sont concernés. L'année dernière un colloque sur la question s'est tenu à Sétif. Comment expliquer cet engouement?

SEMIS DIRECT, UN SEMOIR SPECIFIQUE.

Cette nouvelle technique repose sur l'abandon du labour et nécessite un matériel spécifique. En semis direct, il n'y a plus de travail du sol tel qu'on l'entend traditionnellement. Le labour ou l'emploi d'outils à disques du type déchaumeuse ou cover-crop est ainsi exclu. Aussi, lors du semis, le semoir doit donc disposer de disques ou de dents capables d'entamer la surface du sol afin de déposer les semences à 3 centimètres de profondeur. Ce type de semoir est donc différent des semoirs actuellement existant sur les exploitations agricoles. Il est plus lourd. Cette technique implique donc de disposer de semoirs spécifiques qui coûtent 3 fois plus chers. Au Maroc, des agronomes de l'Ecole d'Agriculture de Meknès aidés de l'ONG française FERT ont réussit à mettre au point un prototype bien moins cher que les semoirs importés.

Une autre contrainte apparaît avec l'abandon du labour. En retournant la terre, celui-ci permet d'éliminer les mauvaises herbes déjà installées à l'automne. Le semis direct implique donc obligatoirement une lutte chimique contre ces adventices déjà présentent au semis. L'exploitant désirant passer au semis direct doit donc impérativement disposer d'un pulvérisateur afin de procéder à un désherbage chimique. Traditionnellement ce désherbage est réalisé à l'aide du Roundup (glyphosate)

AVEC LE SEMIS MOINS D'EROSION.

En climat méditerranéen, les sols sont fortement sensibles à l'érosion. Sur les hauts-plateaux, il est fréquent d'observer sur les sols en pente des ravines; signes d'érosion. L'érosion peut emporter de 2000 à 4000 tonnes de terre par km2 et par an. Cette terre se retrouve le plus souvent au niveau des barrage et provoque leur envasement. A l'échelle de temps humaine, ce sol qui est emporté par les pluies n'a pas le temps d'être régénéré.

Or, le semis direct est considéré par les spécialistes comme une technique permettant la conservation des sols. Il ne provoque pas d'érosion. Le labour est remis en question dans différentes régions du monde. Ses détracteurs l'accusent, à juste titre, de favoriser la minéralisation de la matière organique du sol, de ne pas respecter la biologie du sol et donc de favoriser l'érosion.

Un universitaire algérien, le Pr M.KRIBAA a montré, dès 2001, que dans nos conditions climatiques et pédologiques, les techniques conventionnelles dégradent fortement la matière organique du sol. Or, cette matière organique protège le sol contre l'érosion. Certes, cette dégradation se traduit par une minéralisation de la matière organique et donc la production d'éléments minéraux bien utiles à la plante. Mais, il existe un autre moyen d'apporter ces précieux éléments: en utilisant des engrais. On préserve ainsi, le capital organique du sol si bénéfique pour la rétention d'eau.

Car, il faut rappeler que l'agriculture coloniale a été, avant tout, une agriculture « minière ». Contrairement à l'araire du fellah, la charrue en acier des colons a permis d'exploiter des couches de sols plus profondes et donc plus riches en matière organique. La minéralisation de cette matière organique qui s'était accumulée pendant des siècles a permis au colon de ne pas utiliser d'engrais. Les agronomes de l'époque s'émerveillaient du fait qu'il suffisait de travailler le sol plus profondément et plus souvent pour que les rendements augmentent et cela sans le moindre sac d'engrais. Actuellement, si l'utilisation des engrais progresse, la dent du mouton pâturant après la récolte, ne laisse aucun brin de paille sur le sol. A part les racines, le sol n'est pas enrichi en cette précieuse matière organique si protectrice pour nos sols.
Dans certaines régions, les sols sont très peu profonds, la pluviométrie faible et irrégulière. Après les 40 centimètres de terre arable, le calcaire de la roche mère apparaît. Les racines des cultures ne peuvent trouver dans ces conditions toute l'eau et les minéraux nécessaires à une bonne croissance. Les rendements sont faibles. Dans de telles conditions, le labour s'avère non seulement une opération qui dégrade le sol mais également économiquement non rentable. Les agronomes présents au sud de Sétif notent même des phénomènes d'érosion éolienne. Dans de tels sols, le labour n'aurait que pour effet de remonter des pierres et assécher les premières couche du sol.


SEMER 10 FOIS PLUS VITE.

Dans les exploitations agricoles, la période labour-semis des céréales est l'occasion d'une pointe de travail à l'automne et de retards dans l'exécution des semis. Souvent on attend les pluies pour commencer les semis. Il est vrai que labourer un sol trop sec demande des efforts au matériel. Les moteurs chauffent et les tracteurs sont usés prématurément. Chaque variété de blé et d'orge possède une période idéale de semis entre octobre et novembre. Passée cette période, les rendements chutent. Or, le semis direct permet une meilleure organisation des chantiers de semis.

Les exploitations agricoles manquent de tracteurs pour labourer, affiner le sol et semer. Il y a bien sûr un manque de tracteurs mais aussi un manque de tracteurs puissants. De ce fait, les tracteurs ne peuvent tirer que des outils de faible largeur. Quand on sait que les parcelles à semer sont de l'ordre de la dizaine d'hectares et plus, on peut imaginer la lenteur des travaux. Or, répétons le, passée la date optimale de semis, le rendement de la culture diminue.

Le secteur agricole est par ailleurs, tourné vers la résorption de la jachère. Sur les hauts-Plateaux, traditionnellement seulement moitié de la superficie d'une exploitation est semée en céréales. L'autre moitié n'est pas semée; elle est laissée en jachère. Les surfaces en jachère sont certes pâturées par les troupeaux de moutons mais c'est autant de terres non semées en céréales ou fourrages.

Réduire les importations alimentaires implique donc de réduire les surfaces en jachère. Mais cela a pour corollaire de travailler plus de surfaces.

Or, le semis direct permet d'accélérer la vitesse des chantiers de semis. Un chantier conventionnel sur 100 hectares conduit de façon optimale demande 63 jours de travail contre 6 jours pour un chantier en semis direct. Certes, tous les chantiers de semis ne comptent pas 3 passages de cover-crop après labour et un roulage après semis. Il existe bien des itinéraires techniques moins sophistiqués. Mais, quelque soit le niveau de sophistication de l'exploitant, le semis direct permet une nette économie en moyen de traction.

SEMIS DIRECT, UN MOYEN D'ECONOMISER L'EAU DU SOL.

Mieux, le semis direct permet également une meilleure utilisation de l'humidité du sol par réduction de l'évaporation de l'eau de pluie.
En conduite classique, afin de ne pas être pris de cours, l'agriculteur est parfois amené à travailler le sol dès le mois de septembre, voire dès le printemps lorsqu'il s'agit d'un labour de jachère. Or, cette pratique en sol sec est usante pour le tracteur: la charrue peine à retourner le sol sec et le moteur du tracteur chauffe. Le semis direct permet de ne commencer la campagne de semis qu'au moment optimum: octobre-novembre après de premières pluies. Le semis direct n'entraînant pas de retournement de sol, il y a une meilleure conservation de l'humidité du sol. En effet, des agronomes ont montré qu'un simple passage de cover-crop provoque une perte de 10 millimètres d'eau emmagasinée dans le sol.
Les travaux réalisés dans la Mitidja montrent que fin mai, les parcelles en semis direct présentent un taux d'humidité de 10,7% contre 9,7% en semis conventionnel et de 8,4% début juin en semis direct contre seulement 7,1% en semis conventionnel. Ces différences apparaissent minimes. Cependant, il s'agit là d'un moment crucial pour le blé. C'est à ce moment là que les réserves d'amidon accumulées dans les feuilles migrent vers les grains. Cette migration ne peut se faire que si la plante dispose d'assez d'eau. Les agronomes ayant menés les essais expliquent cette meilleure humidité du sol par une réduction de la porosité du sol. Selon Mr O. Zaghouane de l'ITGC, le labour crée des vides (pores) dans le sol, ce qui favorise l'évaporation du sol.

Par ailleurs, en cas de fortes pluies automnales et d'arrêt des semis, un chantier de semis direct peut être ré-ouvert plus rapidement. En effet, le temps de ressuyage du sol est plus court puisque le tracteur roule sur un sol non remué; il y a moins de boue. Même chose fin janvier quand il faut apporter l'engrais azoté et réaliser le désherbage.


UNE TECHNIQUE HAUTEMENT RENTABLE ECONOMIQUEMENT.


Des essais menés menés de 2006 à 2008 en conditions semi-arides montrent des rendements moyens de 13,2 qx/ha en semis direct contre 10 qx/ha en semis conventionnel. Comme les frais mobilisés pour implanter la culture sont bien moins élevés qu'en semis conventionnels, le semis direct présente donc une nette rentabilité.
La ferme pilote de Sersour au sud de Sétif pratique le semis direct sur de grandes parcelles. L'analyse économique montre des résultats en faveur de cette nouvelle technique. En semis conventionnel, les charges totales sont de 13 400 DA à l'hectare contre seulement 9700 DA/ha en semis direct. Ce qui permet un produit de 21 000 DA/ha contre seulement 6 900DA/ha en semis conventionnel. Cela est à imputer aux frais de mécanisation qui passent de 8700 DA/ha à 4500 DA/ha suite à la réduction du nombre de passages de tracteur pour travailler le sol. Mr A. Bouguendouz, ingénieur agronome, explique qu'à la ferme de Sersour, la campagne de semailles ne prend plus que moitié du temps par rapport à l'ancienne méthode. Pour l'avoir testé au niveau de son exploitation (EAC), l'ingénieur agronome Saïd Mahane, est un fervent partisan du semis direct .

Pour Rachid Mrabet, spécialiste marocain du semis direct, l'intérêt de cette technique est d'autant plus intéressante que l'année est sèche. Ainsi, en année sèche les parcelles en semis-direct donnent 10 qx/ha alors que celles labourées n'en donnent que 2. Le semis direct assure donc une rentrée de fonds quelque soit l'année. Il sécurise le travail du céréalier. Rappelons qu'actuellement, un manque de pluie printanier est souvent catastrophique au niveau des exploitations pratiquant le labour.

CONCLUSION

0n peut ainsi comprendre que la technique du semis direct ne soit plus restée cantonnée aux seuls essais et que des agriculteurs l'adoptent. Il faut également noter l'efficace travail de vulgarisation menés par les cadres de l'ITGC. Afin de mieux faire circuler l'information entre universitaires, stations de recherche, et agriculteurs une association « Trait d'Union pour une agriculture Moderne » a même vu le jour à Sétif. L'ATU se propose de « rapprocher le chercheur du terrain pour mettre à l'épreuve les résultats de sa recherche, en tant que prestataire de services, et aider l'agriculteur, en tant que client de la recherche, à identifier, hiérarchiser et formuler ses problèmes pour les soumettre au chercheur ».

La technique du semis directe présente l'avantage d'améliorer le revenu des agriculteurs tout en conservant les sols. Cette technique qui ne se conçoit pas sans désherbage chimique et semoirs adaptés peut constituer une véritable révolution technique en zone semi-aride.

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