mardi 7 juillet 2015

ALGERIE: FORT DEVELOPPEMENT DE L'ENGRAISSEMENT DE BOVINS VIANDES.

BOVINS VIANDES
SOBHI HABES, MEDECIN, IMPORTATEUR ET AGRICULTEUR
Dr Sobhi Habès est assez emblématique d'une certaine agriculture algérienne, à savoir l'exercice de plusieurs métiers parmi lesquels l'agriculture et occasionnellement l'engraissement de broutard. 

Médecin pédiatre réputé dans sa petite ville, S Habès est également l'un des trois associés de la société franco-algérienne Agrimatos (avec Hadj Messaoud Demmene Debbih et Michel de Denon). Ils importent du matériel agricole – un domaine où il y a beaucoup à faire en Algérie – des bovins à engraisser et d'autres biens agricoles au gré des opportunités. Mais il est aussi agriculteur, sur un bien qui avait appartenu à son grand-père, grand propriétaire foncier. Confisqué lors de la réforme agraire des années 1970 pour être redistribué, il a été restitué à la famille en 1993, après que les résultats de cette réforme se soient avérés catastrophiques, mais au prix d'une situation foncière inextricable. Après des débuts difficiles, faute d'un accompagnement technique, il se vit aujourd'hui pleinement agriculteur avec des résultats plutôt honorables. Il exploite une superficie de 300 ha, dont 90% sont consacrés à la production de céréales, dans l'Est de l'Algérie (La Meskiana). Quatre vingts ha sont irrigués et toutes les cultures sont implantées en semis-direct. Les rendements en céréales cultivées en sec étant aléatoires dans cette zone semi-aride (10 à 30 qx/ha), le pilier de l'exploitation est en fait le mouton. Un cheptel de 300 brebis Ouled Djellal, la race algérienne la plus répandue et très prisée pour sa capacité à valoriser les zones arides et pour la qualité de sa viande. Elles sont nourries avec du foin de prairie (très rare en Algérie), de l'orge pâturée en vert, de la luzerne et des céréales. Les cultures fourragères sont en partie irriguées. Le foin de luzerne, très recherché, est principalement destiné à la vente.

LA RENTABILITE DE L'ENGRAISSEMENT PAS TOUJOURS AU RENDEZ-VOUS.
Et les bovins dans tout cela ? « Nous achetons des broutards charolais de 450 à 480 kg, de préférence quand ils sont détaxés » explique deux de ses associés. Ils sont généralement revendus au souk des engraisseurs. Sauf que cette année, les cent broutards importés lors de l'ouverture du contingent n'ont pas pu être détaxés et ont été payés au prix fort. Arrivés au port d'Alger au prix de 1600 euros, une fois réglé les taxes, la location du lazaret et le transport (55O km), ils valaient plus de 2300 euros, alors que l'offre pour cause de contingent était pléthorique. Décision fut prise d'en finir 33 sur la ferme de S. Habès. Engraissés pendant 5 mois, ils ont été revendus à la pièce (650 à 700 kg de PV) au prix de 2650 euros. « Nous ne sommes pas rentrés dans nos frais. Nous avons perdus de 100 à 150 euros par bête en moyenne sur les 100 taurillons achetés. Et, nous nous estimons heureux. Si nous avions tout vendu à l'arrivée, nous aurions perdu 400 euros par tête », affirment les deux associés. L'année précédente, avec des broutards détaxés, ils avaient fait une marge de 300 euros par tête. Pour réduire les coûts intermédiaires, ils envisagent d'exploiter leur propre lazaret et importer des animaux par le port de Annaba, à l'extrême Est de l'Algérie. 
Photos :
-S. Habès et Michel de Denon deux des trois associés d'Agrimatos. Ce dernier, ancien agriculteur et spécialiste du semis direct, fait du conseil technique auprès d'agriculteurs algériens.
- Les broutards sont démarrés avec du foin d'avoine et d'orge (3,5 kg par bête et par jour), de la paille et 2 kg d'orge, pour les habituer à la ration sèche. Ils passent ensuite à un régime foin (5,5 kg), blé et son, puis à une ration avec paille à volonté et aliment d'engraissement (jusqu'à 12 kg).
Bernard Griffoul. « Réussir Bovins  Viandes» n°218. Septembre 2014 pages 65-66.

 BOVINS VIANDES
UN ATELIER DE 500 PLACES AVEC DES MALES DE RACES FRANCAISES ET LOCALES
Salim Djouablia : engraisseur de longue date, conscient qu'il peut progresser sur la conduite alimentaire, souhaite tripler son atelier de 500 places, tant la demande est forte.

Juchés sur un promontoire et cernés de champs de céréales à perte de vue, les bâtiments d'élevage blanchis à la chaux forment comme une forteresse carrée où on n'entre qu'après avoir montré patte blanche. Salim Djouablia engraisse des bovins depuis une trentaine d'années et, depuis quinze ans, sur sa ferme actuelle située près de Constantine, dans le Nord-Est de l'Algérie. Une exploitation de 300 ha à bon potentiel entièrement vouée aux céréales. Ce qui ne l'empêche pas d'être passionné d'élevage. Petit à petit, il a construit un ensemble de bâtiments qui lui permettent de disposer denviron 500 places d'engraissement, une partie à l'attache, une autre en stabulation libre. Environ 60% de mâles engraissés sont issus de l'importation et 40% d'origine locale (races laitières ou améliorées). Dans les broutards importés, dont le prix d'achat se situe entre 1900 et 2300 euros, toutes les races allaitantes françaises disponibles en Algérie sont représentées dans ses étables : Charolais, Aubrac, Limousin, Salers. L'Aubrac est sa préférée : la couleur foncée de la viande, comparable à celle des races locales, est très appréciée dans cette région où l'on reproche en revanche aux carcasses charolaises, leur viande claire et sa moins bonne tenue dans les vitrines non réfrigérées des boucheries. Au souk d'ailleurs, les mâles charolais coûtent moins cher à l'achat que les Aubrac, affirme l'éleveur. Les mâles charolais, « après avoir fait un grand boum », seraient « en recul » aujourd'hui dans la région de Constantine, affirme Nourredine Achouri, ancien président de la Chambre Régionale d'Agriculture.

« DES INTERMEDIARES QUI NE CONNAISSENT RIEN AUX BETES » 
Salim Djouablia apprécie néanmoins les Charolais pour leur potentiel de croissance et les poids de carcasse. La Limousine lui plaît beaucoup également pour la couleur de la viande. Mais peu satisfait du travail de certains importateurs et intermédiaires, « qui ne connaissent rien aux bêtes » et ne prennent pas suffisamment soin des animaux, il souhaite importer lui-même des bovins. De plus, les animaux sont ramenés des ports d'Alger (400 km) ou d'Oran (800 km). Ils n'arrivent pas frais et dispos. Il affirme pouvoir trippler sa production, tant la demande est aujourd'hui importante.
Les animaux sont alourdis le plus possible (de l'ordre de 400 kg de carcasse pour les Charolais) pendant environ 6 mois avec une ration sèche à base de paille et d'un aliment fabriqué sur l'exploitation avec des matières premières. Un concentré composé dans les proportions suivantes : 15% d'orge, 45% de maïs, 15% de son de blé, 20% de tourteau de soja, 4% de CMV et 1% de sel. Les animaux peuvent en consommer jusqu'à 12 kg par jour. Une partie des matières premières étant prélevée sur l'exploitation, l'aliment revient moins cher (345 euros/tonne) que s'il était acheté prêt à l'emploi.
Bien qu'une période de transition d'un mois soit observée, cette ration pose de sérieux problèmes métaboliques, comme en attestent les bouses. La consommation de paille est insuffisante (3 kg par jour), le broyage des céréales trop fin et l'équilibre céréales-correcteur azoté inadéquat. Le GMQ semble tout de même s'établir autour de 1,4 kg par jour.

DES PERTES D'ANIMAUX IMPORTANTES DE L'ORDRE DE 10%

Mais les pertes d'animaux, surtout au démarrage, sont importantes, de l'ordre e 10%. Salim Djouablia est conscient que la conduite alimentaire n'est pas optimale et est demandeur de conseils techniques pour progresser. Pouvant les trouver difficilement sur place, il souhaite établir des contacts en France. L'engraisseur se plaint également de la faible efficacité des médicaments vétérinaires disponibles. S'agit-il d'un problème de médicaments ou d'une carence de suivi vétérinaire ? A l'arrivée, les animaux sont déparasités (Ivomec) et reçoivent un complément multivitaminé. Salim Djouablia vend ses taurillons en vif, sur le marché ou l'exploitation, et au crochet. Il est aussi revendeur pour d'autres éleveurs. Les prix de vente carcasse se situaient en juin autour de 7,6 euros pour les animaux de races françaises et entre 6,7 euros et 6,9 euros pour les races loacales. Dans les bovins, contrairement aux moutons, les prix fluctuent assez modérement. Ils peuvent augmenter de 20 à 60 centimes d'euro au kg pendant les fêtes religieuses et durant l 'été (du ramadan jusqu'à l'Aïd-el-kébir). C'est le souk qui décide selon la classique loi de l'offre et de la demande, sans aucune autre forme de régulation. 
Photos :
-S Djouablia, engraisseur dans la région de Constantine. Son projet est de trippler la production et d'importer directement les mâles et de se perfectionner auprès d'engraisseurs français.
-Les animaux en stabulation libre sont conduits en lots de taille importante (jusqu'à une cinquantaine). La litière est assurée avec de la paille ou de la sciure. Après curage, tous les dix jours, une couche de 15 cm est répandue sur le sol.
-Les jeunes bovins à l'attache sont abreuvés deux fois par jour en période chaude, une fois en hiver, avec un chariot rempli à partir d'une cuve disposée dans le bâtiment.
-les animaux en stabulation libre sont parqués une fois par jour dans une aire extérieure d'abreuvement et de distribution de la paille. Chaque lot y séjourne pendant une heure ou deux. Pendant ce temps, les ouvriers nettoient les cases et mettent l'aliment dans les auges.
-L'atelier d'engraissement emploie dix à douze ouvriers, dont trois gardes de nuit, pour surveiller les animlaux. Leur salaire est de l'ordre de 120 euros par mois.

B Griffoul. « Réussir Bovins Viandes» n° 218 Septembre 2014. Pages 65-66.

BOVINS VIANDES
AVIS D'EXPERT
Michel de Denon, co-gérant de la société Agrimatos : « Il y a le feu au lac avec les Espagnols »
« Des fabricants d'aliments espagnols sont prêts à apporter de l'appui technique et du conseil en nutrition aux engraisseurs algériens afin de conquérir le marché de l'aliment pour bétail. Ils sont capables de fournir de l'aliment floconné à 18% de MAT, fabriqué à partir de protéines pas chère et riches en fibres, au prix de 360 euros la tonne. Et, des éleveurs espagnols pourraient les suivre en fournissant des animaux. Ils achètent des veaux croisés de huit jours dans les pays de l'Est (Roumanie, Autriche, Pologne, Tchéquie) ou en Irlande et en Ecosse, qui arrivent en Espagne à 100 euros pièce. Ils les élèvent jusqu'à 480 kg, puis les expédient vers l'Algérie. Ils arrivent 30 centimes moins cher que les animaux français. Ces veaux correspondent idéalement au marché algérien. Les Espagnols sont en train d'appliquer à l'élevage, les techniques de production qu'ils ont développées pour la tomate avec de la main d'oeuvre pas chère. Il y a le feu au lac. » Revue Réussir Bovins Viande n°218 Septembre 2014. page 54.

UN MARCHE EN VIF COMPLEXE ET EXIGEANT
Complexe à saisir, lourd sur le plan administratif et logistique, exigeant quant au sanitaire, le marché algérien des broutards reste néanmoins sûr au niveau commercial et semble durable.
(…)

NOS RACES SONT TROP SOPHISTIQUEES POUR ATTAQUER CES MARCHES

« Compte tenu de la façon dont les Algériens consomment la viande, ont-ils vraiment besoins d'animaux haut de gamme ? » s'interroge encore Michel Fénéon. « Nos races sont trop sophistiquées et ne sont pas assez précoces. A 600 kg, les taurillons charolais sont encore maigres », affirme Pierre Richard, directeur commercial de Deltagro Union. Il s'inquiète aussi de la concurrence ibérique : « Les veaux espagnols sont plus précoces et mieux adaptés à la ration sèche. Le transport est plus rapide et ils arrivent à des prix plus compétitifs. Ils sont importés avec des certificats d'engraissement et sont tués au bout au bout d'un à deux mois bien finis, à un poids vif compris entre 620 et 630 kg ». En 2013, l'Espagne a exporté 8 000 à 10 000 bovins (hors reproducteurs) vers l'Algérie. « Le jour où l'Algérie aura intérêt politique à ouvrir ses frontières à des veaux plonais, hongrois ou autres, il y a des chances qu'ils s'implantent, comme ils l'ont fait en Turquie », estime Fabien Champion, de l'Institut de l'élevage. Aujourd'hui, les certificats sanitaires sont limités à la France, l'Espagne, l'Irlande et la République Tchèque. « Je pense qu'à terme, on mettra plus en avant les animaux du cheptel laitier, avec lesquels nous intéresserons davantage ces marchés et nous serons plus concurrentiels » pressent Pierre Richard. Bernard Griffoul.
 
 
ELEVAGE

PROTEGER ELEVEUR ET CONSOMMATEUR
D. BELAID 17.09.2014
La revue « Réussir Bovins Viande » consacre ce lois de septembre un dossier spécial Algérie. Dans l'introduction en ligne, on peut y lire: « L’engraissement ne semble pas avoir la capacité de se développer très rapidement pour de nombreuses raisons : manque de ressources fourragères, accès difficile aux financements, filière peu organisée dont la valeur ajoutée est captée par de nombreux intermédiaires, manque de savoir-faire en matière d’engraissement… » . Passons que la filière soit peu organisée. Mais que « la valeur ajoutée soit captée par de nombreux intermédiaires » est regrettable. Très regrettable.

La revue ne dit pas dans son introduction qui capte cette valeur ajoutée, mais on peut penser qu'il s'agit des intermédiaires: maquignons et bouchers notamment. Peut-être également marchands de fourrages (foin de vesce-avoine et paille).

Comment faire pour préserver le revenu des producteur et des consommateurs?

PRESERVER LE REVENU DES PRODUCTEURS
Une des solutions est la création de coopératives de services. Les éleveurs ont tout intérêt à se regrouper afin de valoriser la commercialisation de leurs animaux. On pourrait penser à des marchés où viendrait s'approvisionner des bouchers. Mais pour cela il faudrait qu'ils aient des moyens de transport afin de se rapprocher des centres de consommation. Une autre voie peut être d'abattre les animaux et de commercialiser de la viande au détail ou en semi-gros sous forme de caissettes comme cela se fit dans certaines grandes surfaces à l'étranger.

L'apparition de grandes surfaces en Algérie peut être un moyen de trouver des débouchers. Mais encore faudrait-il que les producteurs aient la force de s'équiper. Des investissements lourds sont nécessaires: chambres froides, camions...

PRESERVER LE REVENU DES CONSOMMATEURS
De leur côté, que peuvent faire les consommateurs? Une chose importante à noter: ils ont des intérêts convergents avec les producteurs. Leur pouvoir d'achat est actuellement laminé par les intermédiaires.
Attendre n'est pas la solution. Ils ne peuvent attendre des actions des pouvoirs publics. Ils ne peuvent attendre une progressive reconquête du marché par les producteurs. Aussi la solution est de s'organiser en groupe de consommateurs. Ces groupes pourraient être constitués au niveau du lieu de travail ou d'un immeuble, d'un quartier... Le groupe aurait des représentants qui iraient au devant des producteurs pour leur acheter un animal. L'idéal serait l'existence d'accords contractuels. Le producteur abattant une bête à l'abattoir et après l'avoir découpée et conditionné en lots il la livre aux représentants des consommateurs qui se chargent de la distribution.

On peut objecter que le consommateur n'a pas à s'occuper de l'organisation du marché de la viande. C'est une erreur. En France, par exemple, se développe le système des AMAP. Des consommateurs passent un abonnement à un agriculteur. Ils reçoivent ainsi chaque semaine un couffin de légumes à prix modéré. Chacun y trouve son intérêt. L'agriculteur sécurise ses débouchés et trouve un financement. L'urbain dispose de légumes frais à prix modéré.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire