LE
SEMIS DIRECT, UNE REVOLUTION TECHNIQUE EN AGRICULTURE.
Djamel
BELAID djam.bel@voila.fr Texte
r é-actualisé le 27.06.2015
Traditionnellement, avant de
semer des céréales, l'agriculteur procède au labour de sa
parcelle. Des agronomes algériens proposent de s'affranchir de cette
étape couteuse en temps et en moyens matériels pour procéder
directement au semis. C'est la technique du semis direct. Depuis 5
ans, dans les régions de Sétif, Oum El Bouaghi, Guelma ou Annaba,
des EAC et EAI se sont déjà convertis à cette nouvelle pratique.
Dans la région de Constantine, c'est le cas de grandes exploitations
céréalières privées de plusieurs centaines d'hectares. On compte
déjà une vingtaine de semoirs pour semis direct sur le terrain.
Près de 7000 hectares sont concernés. L'année dernière un
colloque sur la question s'est tenu à Sétif. Comment expliquer cet
engouement?
SEMIS
DIRECT, UN SEMOIR SPECIFIQUE.
Cette nouvelle technique
repose sur l'abandon du labour et nécessite un matériel spécifique.
En semis direct, il n'y a plus de travail du sol tel qu'on l'entend
traditionnellement. Le labour ou l'emploi d'outils à disques du type
déchaumeuse ou cover-crop est ainsi exclu. Aussi, lors du semis, le
semoir doit donc disposer de disques ou de dents capables d'entamer
la surface du sol afin de déposer les semences à 3 centimètres de
profondeur. Ce type de semoir est donc différent des semoirs
actuellement existant sur les exploitations agricoles. Il est plus
lourd. Cette technique implique donc de disposer de semoirs
spécifiques qui coûtent 3 fois plus chers. Au Maroc, des agronomes
de l'Ecole d'Agriculture de Meknès aidés de l'ONG française FERT
ont réussit à mettre au point un prototype bien moins cher que les
semoirs importés.
Une
autre contrainte apparaît avec l'abandon du labour. En retournant la
terre, celui-ci permet d'éliminer les mauvaises herbes déjà
installées à l'automne. Le semis direct implique donc
obligatoirement une lutte chimique contre ces adventices déjà
présentent au semis. L'exploitant désirant passer au semis direct
doit donc impérativement disposer d'un pulvérisateur afin de
procéder à un désherbage chimique. Traditionnellement ce
désherbage est réalisé à l'aide du Roundup (glyphosate)
AVEC
LE SEMIS MOINS D'EROSION.
En climat méditerranéen,
les sols sont fortement sensibles à l'érosion. Sur les
hauts-plateaux, il est fréquent d'observer sur les sols en pente des
ravines; signes d'érosion. L'érosion peut emporter de 2000 à 4000
tonnes de terre par km2 et par an. Cette terre se retrouve le plus
souvent au niveau des barrage et provoque leur envasement. A
l'échelle de temps humaine, ce sol qui est emporté par les pluies
n'a pas le temps d'être régénéré.
Or, le semis direct est
considéré par les spécialistes comme une technique permettant la
conservation des sols. Il ne provoque pas d'érosion. Le labour est
remis en question dans différentes régions du monde. Ses
détracteurs l'accusent, à juste titre, de favoriser la
minéralisation de la matière organique du sol, de ne pas respecter
la biologie du sol et donc de favoriser l'érosion.
Un universitaire algérien,
le Pr M.KRIBAA a montré, dès 2001, que dans nos conditions
climatiques et pédologiques, les techniques conventionnelles
dégradent fortement la matière organique du sol. Or, cette matière
organique protège le sol contre l'érosion. Certes, cette
dégradation se traduit par une minéralisation de la matière
organique et donc la production d'éléments minéraux bien utiles à
la plante. Mais, il existe un autre moyen d'apporter ces précieux
éléments: en utilisant des engrais. On préserve ainsi, le capital
organique du sol si bénéfique pour la rétention d'eau.
Car, il faut rappeler que
l'agriculture coloniale a été, avant tout, une agriculture
« minière ». Contrairement à l'araire du fellah, la
charrue en acier des colons a permis d'exploiter des couches de sols
plus profondes et donc plus riches en matière organique. La
minéralisation de cette matière organique qui s'était accumulée
pendant des siècles a permis au colon de ne pas utiliser d'engrais.
Les agronomes de l'époque s'émerveillaient du fait qu'il suffisait
de travailler le sol plus profondément et plus souvent pour que les
rendements augmentent et cela sans le moindre sac d'engrais.
Actuellement, si l'utilisation des engrais progresse, la dent du
mouton pâturant après la récolte, ne laisse aucun brin de paille
sur le sol. A part les racines, le sol n'est pas enrichi en cette
précieuse matière organique si protectrice pour nos sols.
Dans certaines régions, les
sols sont très peu profonds, la pluviométrie faible et irrégulière.
Après les 40 centimètres de terre arable, le calcaire de la roche
mère apparaît. Les racines des cultures ne peuvent trouver dans ces
conditions toute l'eau et les minéraux nécessaires à une bonne
croissance. Les rendements sont faibles. Dans de telles conditions,
le labour s'avère non seulement une opération qui dégrade le sol
mais également économiquement non rentable. Les agronomes présents
au sud de Sétif notent même des phénomènes d'érosion éolienne.
Dans de tels sols, le labour n'aurait que pour effet de remonter des
pierres et assécher les premières couche du sol.
SEMER
10 FOIS PLUS VITE.
Dans les exploitations
agricoles, la période labour-semis des céréales est l'occasion
d'une pointe de travail à l'automne et de retards dans l'exécution
des semis. Souvent on attend les pluies pour commencer les semis. Il
est vrai que labourer un sol trop sec demande des efforts au
matériel. Les moteurs chauffent et les tracteurs sont usés
prématurément. Chaque variété de blé et d'orge possède une
période idéale de semis entre octobre et novembre. Passée cette
période, les rendements chutent. Or, le semis direct permet une
meilleure organisation des chantiers de semis.
Les exploitations agricoles
manquent de tracteurs pour labourer, affiner le sol et semer. Il y a
bien sûr un manque de tracteurs mais aussi un manque de tracteurs
puissants. De ce fait, les tracteurs ne peuvent tirer que des outils
de faible largeur. Quand on sait que les parcelles à semer sont de
l'ordre de la dizaine d'hectares et plus, on peut imaginer la lenteur
des travaux. Or, répétons le, passée la date optimale de semis, le
rendement de la culture diminue.
Le secteur agricole est par
ailleurs, tourné vers la résorption de la jachère. Sur les
hauts-Plateaux, traditionnellement seulement moitié de la superficie
d'une exploitation est semée en céréales. L'autre moitié n'est
pas semée; elle est laissée en jachère. Les surfaces en jachère
sont certes pâturées par les troupeaux de moutons mais c'est autant
de terres non semées en céréales ou fourrages.
Réduire les importations
alimentaires implique donc de réduire les surfaces en jachère. Mais
cela a pour corollaire de travailler plus de surfaces.
Or, le semis direct permet
d'accélérer la vitesse des chantiers de semis. Un chantier
conventionnel sur 100 hectares conduit de façon optimale demande 63
jours de travail contre 6 jours pour un chantier en semis direct.
Certes, tous les chantiers de semis ne comptent pas 3 passages de
cover-crop après labour et un roulage après semis. Il existe bien
des itinéraires techniques moins sophistiqués. Mais, quelque soit
le niveau de sophistication de l'exploitant, le semis direct permet
une nette économie en moyen de traction.
SEMIS
DIRECT, UN MOYEN D'ECONOMISER L'EAU DU SOL.
Mieux, le semis direct permet
également une meilleure utilisation de l'humidité du sol par
réduction de l'évaporation de l'eau de pluie.
En conduite classique, afin de
ne pas être pris de cours, l'agriculteur est parfois amené à
travailler le sol dès le mois de septembre, voire dès le printemps
lorsqu'il s'agit d'un labour de jachère. Or, cette pratique en sol
sec est usante pour le tracteur: la charrue peine à retourner le sol
sec et le moteur du tracteur chauffe. Le semis direct permet de ne
commencer la campagne de semis qu'au moment optimum: octobre-novembre
après de premières pluies. Le semis direct n'entraînant pas de
retournement de sol, il y a une meilleure conservation de l'humidité
du sol. En effet, des agronomes ont montré qu'un simple passage de
cover-crop provoque une perte de 10 millimètres d'eau emmagasinée
dans le sol.
Les travaux réalisés dans
la Mitidja montrent que fin mai, les parcelles en semis direct
présentent un taux d'humidité de 10,7% contre 9,7% en semis
conventionnel et de 8,4% début juin en semis direct contre seulement
7,1% en semis conventionnel. Ces différences apparaissent minimes.
Cependant, il s'agit là d'un moment crucial pour le blé. C'est à
ce moment là que les réserves d'amidon accumulées dans les
feuilles migrent vers les grains. Cette migration ne peut se faire
que si la plante dispose d'assez d'eau. Les agronomes ayant menés
les essais expliquent cette meilleure humidité du sol par une
réduction de la porosité du sol. Selon Mr O. Zaghouane de l'ITGC,
le labour crée des vides (pores) dans le sol, ce qui favorise
l'évaporation du sol.
Par ailleurs, en cas de
fortes pluies automnales et d'arrêt des semis, un chantier de semis
direct peut être ré-ouvert plus rapidement. En effet, le temps de
ressuyage du sol est plus court puisque le tracteur roule sur un sol
non remué; il y a moins de boue. Même chose fin janvier quand il
faut apporter l'engrais azoté et réaliser le désherbage.
UNE
TECHNIQUE HAUTEMENT RENTABLE ECONOMIQUEMENT.
Des
essais menés menés de 2006 à 2008 en conditions semi-arides
montrent des rendements moyens de 13,2 qx/ha en semis direct contre
10 qx/ha en semis conventionnel. Comme les frais mobilisés pour
implanter la culture sont bien moins élevés qu'en semis
conventionnels, le semis direct présente donc une nette rentabilité.
La ferme pilote de Sersour au
sud de Sétif pratique le semis direct sur de grandes parcelles.
L'analyse économique montre des résultats en faveur de cette
nouvelle technique. En semis conventionnel, les charges totales sont
de 13 400 DA à l'hectare contre seulement 9700 DA/ha en semis
direct. Ce qui permet un produit de 21 000 DA/ha contre seulement 6
900DA/ha en semis conventionnel. Cela est à imputer aux frais de
mécanisation qui passent de 8700 DA/ha à 4500 DA/ha suite à la
réduction du nombre de passages de tracteur pour travailler le sol.
Mr A. Bouguendouz, ingénieur agronome, explique qu'à la ferme de
Sersour, la campagne de semailles ne prend plus que moitié du temps
par rapport à l'ancienne méthode. Pour l'avoir testé au niveau de
son exploitation (EAC), l'ingénieur agronome Saïd Mahane, est un
fervent partisan du semis direct .
Pour Rachid Mrabet,
spécialiste marocain du semis direct, l'intérêt de cette technique
est d'autant plus intéressante que l'année est sèche. Ainsi, en
année sèche les parcelles en semis-direct donnent 10 qx/ha alors
que celles labourées n'en donnent que 2. Le semis direct assure donc
une rentrée de fonds quelque soit l'année. Il sécurise le travail
du céréalier. Rappelons qu'actuellement, un manque de pluie
printanier est souvent catastrophique au niveau des exploitations
pratiquant le labour.
CONCLUSION
0n peut ainsi comprendre que
la technique du semis direct ne soit plus restée cantonnée aux
seuls essais et que des agriculteurs l'adoptent. Il faut également
noter l'efficace travail de vulgarisation menés par les cadres de
l'ITGC. Afin de mieux faire circuler l'information entre
universitaires, stations de recherche, et agriculteurs une
association « Trait d'Union pour une agriculture Moderne »
a même vu le jour à Sétif. L'ATU se propose de « rapprocher
le chercheur du terrain pour mettre à l'épreuve les résultats de
sa recherche, en tant que prestataire de services, et aider
l'agriculteur, en tant que client de la recherche, à identifier,
hiérarchiser et formuler ses problèmes pour les soumettre au
chercheur ».
La technique du semis directe
présente l'avantage d'améliorer le revenu des agriculteurs tout en
conservant les sols. Cette technique qui ne se conçoit pas sans
désherbage chimique et semoirs adaptés peut constituer une
véritable révolution technique en zone semi-aride.
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