Lorsque au milieu à la fin des années 80, venant de Batna, j'ai débarqué en France, j'ai travaillé comme coordinateur de 4 Ceta tout en animant un. Cela a été une expérience extraordinaire. Récit par Mr POUSSET animateur d'un des premiers Ceta de France en ... 1953. Djamel BELAID 17.02.2016.
Témoignage
de A. POUSSET, ingénieur de CETA de Loudeac de 1953 à 1956.
in « La
modernisation agricole du pays de Loudeac entre 1950 et 1965 »
Editeur : Université du Temps Libre de Loudeac.
Curieusement,
lors de l'examen de sortie de l'ESA d'Angers, la question qui m'était
posée concernait la Bretagne : état des lieux, utilisation des
ressources naturelles locales, potentiel agronomique et
socio-économique, perspectives d'avenir.
C'est
pourquoi en 1953, je n'ai pas hésité à saisir l'occasion qui
m'était offerte de mettre à profit les conclusions de mon étude,
en acceptant la place d'ingénieur de Ceta de Loudeac.
CETA :
Centre d'Etudes Techniques Agricoles, et tout jeune technicien, je
me voyais déjà embarqué dans un processus de modification de
systèmes de production agricole, en collaboration avec des
agriculteurs soucieux avant tout d'accéder à de nouvelles
techniques culturales.
Des
objectifs nouveaux
Dès les
premiers jours, consacrés à la prise de contact avec les membres du
Ceta, j'ai compris que les véritables motivations et objectifs
n'étaient pas seulement techniques. Il m'est vite apparu que pour
ces agriculteurs qui n'étaient pas tous encore des « agriculteurs
de pointe », la technique ne devait être qu'un moyen de faire
évoluer leurs conditions humaines. Au mot technique de ceta, il
aurait fallu ajouter les termes socio-économique ou même, plus
précisément économico-social, même si le technique était le
passage obligé pour atteindre l'objectif réel .
Mes
souvenirs de cette période, qui a fortement marqué ma vie
professionnelle par la suite, sont encore très précis avec pourtant
bientôt 40 ans de reul.
A la
sortie de la guerre, la Bretagne était pour moi malgré son
potentiel technique et humain, un pays sous développé et sauf
exception, pas mêm en voie de développement. La vulgarisation
départementale en Côtes du Nord (1953) était réalisée par
seulement deux ou trois ingénieurs de la DSA qui, malgré beaucoup
de courage, ne touchaient qu'une clientèle très réduite. Ils
avaient d'ailleurs participé à la mise en place des fameuses
zones-témoin, avec le concours de l'APEP.
Une des
principales difficulté de la zone témoin, tout cela vu avec le
recul était le manque de volontarisme des agriculteurs
« incorporés » dans le système : ils restaient
très individualistes, relativement peu demandeurs d'améliorations
techniques et d'évolution du groupe en tant que tel.
C'est là une des caractéristiques qui m'avait le plus frappé à
mon arrivéé à Loudéac, et lors d'une visite le Pr. Dumont en
avait fait la même remarque : pour le Ceta, c'était la volonté
d'un groupe, volonté d'évolution technique et humaine, volonté
surtout de mise en commun, sans détours, de tous les problèmes
rencontrés, volonté de recherche de solutions, volonté
enfin de plus subir passivement les contraintes du milieu naturel
d'un pays encore pauvre.
Malgré
la diversité du groupe
Les agriculteus qui ont lancé le Ceta de Loudéac en 1952 n'avaient
pas eu la tache facile, dans ce contexte d'après guerre. Les
mouvement d'hommes et d'idées donc, dûs aux hostilités, la
nécessité absolue de reconstruire un pays ruiné dans tous les
domaines, avaient ouvert les yeux à certains, mais pas à tous, loin
de là.
Les plus
dynamiques ont donc cherché autour d'eux, dans la région de Loudéac
à constituer un petit groupe d'études, un Ceta comme il en existait
déjà une douzaine en France, cantonné pour la plupart dans des
zones céréalière. Le Ceta de Loudéac avait le n° 14 sur le plan
national , mais était le n°1 en Bretagne.
La
plupart des membres recrutés avaient appartenu à des mouvements de
jeunesse ou assumé des responsabilités dans des organismes
agricoles. Avec leur volonté de « faire quelque chose»
c'était, au départ, leur seul point commun.
Pour le
reste, on rencontrait une très grande diversité : dans les
exploitations d'abord, dont les superficies variaient de 50 et même
près de 100 ha pour quelques unes à 15 ou 18ha pour d'autres ;
dans l'âge, certains étant déjà grand père et d'autres tout
jeune ménage ; dans les orientations économiques, avec des
dominantes de productions céréalières, de plantes de pomme de
terre ou d'élevage ; au niveau des équipements, puisque l'un
possèdait déjà une moissonneuse-batteuse avant la guerre (à
traction animale!) et d'autres pas encore de tracteurs ; dans
les conditions de vie et d'hâbitat qui tranchaient fortement d'une
ferme à une autre... et sur bien sûr d'autres points encore.
Toute
cette équipe avait pris conscience du retard de la Bretage sur
d'autres régions. Elle avait compris les marges de progrès permises
par les conditions de milieu. Désireuse de progresser, elle a ainsi
créé le premier Ceta.
Un
changement des mentalités
C'est
l'état d'esprit de ses membres qui a permis la réussite du Ceta de
Loudéac. Ce travail de groupe s'est réalisé sans arrière-pensée
de compétition, mais dans un but de développement mettant en commun
échecs et réusssites, en analysant les causes et les remèdes
éventuels, chacun apportant sa pierre à la construction.
Ce fait
était à l'époque assez extraordinaire quand on connaît le
tempéramment naturellement individualiste et fermé qui
caractérisait les agriculteurs.
J'ai
d'ailleurs sur ce point des souvenirs assez cuisants du reproche fait
aux membres du Ceta d'avoir inventé l'individualisme à 15, tant ce
petit cercle était apparemment fermé sur son seul groupe. Il est
vrai que les réunions et rapports de Ceta restaient confidentiels et
propriété de ses membres. Seuls la FNCETA et la DSA en étaient les
destinataires.
En
réalité, mentalité nouvelle dans le milieu agricole, le
financement du groupe était en grande partie assuré par les
cotisations de ses membres, même si le Ministère de l'agriculture
avait confié au Ceta une « Action Fourragère »,
participait aussi aux dépenses. Il était donc normal qu'ils en
soient les premiers bénéficiaires.
De plus
sur le plan technique, les innovations proposées quelque fois
imprudemment par l'ingénieur du Ceta n'étaient pas sans risques, et
il aurait été dangereux de divulguer à tous des conclusions
parfois un peu hâtives et insuffisamment contrôlées sur des
résultats d'expérimentation en cours. Car c'était aussi un
changement des mentalités que d'accepter les conseils d'un jeune
ingénieur, théoricien fraîchement sorti de l'école, ou d'adopter
de nouvelles techniques proposées par les centres de recherche de
l'Inra. Tous les agriculteurs de la région ne passaient pas
facilement du blé Goldentrop au Capelle ni de 30 à 100 unités
d'azote à l'hectare.
Le goût
du risque, ou sa simple acceptation, n'était pas à cette époque
une des qualités premières de l'agriculteur. Et pourtant
l'application de nouveautés en matière de prairies temporaires,
devenues la gloire du Ceta de Loudéac, comportait des risques, comme
par exemple les premiers semis de ray grass d'Italie effectués en
sol nu sur 50 ares à St Caradec et qui se sont révélès être de
la fétuqye éleve.
Je me
souviens aussi, ds le mm ordre didées, d'un mb du ceta me tél en
cata : il venait de retourner 12 ha de prairies nat sur les 16
qu'il possèdait, et je devais lui assurer de l'herbe pour son
troupeau de vaches armoricaines... ds les deux mois !
Qlq temps
plus tard, il m'a affirmé n'avoir dormi que d'un œil pdt qlq sem.
Mais la collaboration technicien-agriculteur était telle que j'ai dû
lui avouer pour ma part, n'avoir pas dormi du tout.
Goût
du risque, curiosité, esprit de recherche, besoin de découvrir, le
tout en travail d'équipe, c'est peut-être banal aujourd'hui, ça ne
l'était pas il y a 40 ans.
Les
relations extérieures.
Les
conséquences
Les
premières opérations ont été purement techniques, tant sur le
plan production fourragère que sur céréalière, par simple
application des données non encore vulgarisées, mais connues. Il
s'est agi d'abord de création de prairies temporaires, préparation
de sol, de dates de semis sous couvert ou en sol nu, ou d'application
sur blé du fractionnement de l'azote tel que préconisé par la
méthode COIC .
Puis tout
cela est devenu économico-social, avec un double aspect, d'abord
d'organisation du travail, puis d'amélioration du cadre de vie (le
technicien du ceta a quelque fois dû se transformer en métreur
sinon en architetce).
En
liaison directe avec le service de comptabilité de la Fnceta, les
premières comptabilités – simplifiées – ont été mises en
place pour contrôler les conséquences économiques et financières
de l'évolution technique.
Le
ceta de le moteur du développement
Ces
hommes, animés de la pleine volonté d'améliorer leurs conditions
de vie, n'ont entrevu la solution que par le moyen de l'évolution
technique de leurs exploitations. Il s'agissait pour eux, dans la
concertation du ceta, d'utiliser au mieux les ressources existantes,
tant agronomiques qu'humaines, et de réveiller ce potentiel
sous-employé.
Manquant
pour beaucoup de formation agronomique, ils ont décidé de
s'adjoindre un technicien, étouffant par la même le viel adage qui
dit que rien ne vaut la pratique. Sans fausse modestie, je me dis que
le résultats n'a pas étét si mauvais, puisque ce sont les mêmes
hommes qui ont estimé utile de créer la maison familiale de Saint
Etienne du Gué de l'Isle, pour donner une formation à leurs
enfants.
Mais le
reveil ne s'est pas fait sans douleur et le principe même du Ceta et
de son organisation ont souvent été critiqué, par jalousie peut
être, par ignorance sûrement.
Et
pourtant l'expérience a été rapidements suivie, par la création
de deux puis de quatre ceta, et c'est vraiment là que le ceta de
Loudéac a commencé à jouer ce rôle de moteur du développement.
Et quand 10 à 12 ans plus tard, en 1965, le ministre Pisani a confié
à la profession agricole la charge de la vulgarisation, le pli était
pris, on pouvait faire confiance aux techniciens.
Mais
avant cela, les différents travaux du Ceta avaient débouchés sur
la création du centre de gestion de Saint Brieuc. Enfin, les
membres, mais alors plus individuellement, ont souvent pris des
responsabilités dans des organismes et les organismes agricoles.
Conclusion
Oui, le
Ceta de Loudéac a certainement joué un rôle moteur dans
l'évolution de l'agriculture et peut-être même de l'IAA du secteur
mais plus indirectement. Il a été en tout cas le pionnier du
développement régional. C'est lui qui a organisé les premières
journées de motoculture de Loudéac et permis ainsi de mieux se
faire connaître.
J'ai
personnellement eu la chance d'en être le premier technicien, et
probablement parce que j'ai participé aux premiers « défrichements »
de cette évolution, on m'a traité de bulldozer, alors que j'ai, je
crois, travaillé avec plus de finesse et de souplesse tout de même.
Il ne
s'agissait pas de faire revivre le passé. Mais il est important
cependant de ne pas oublier dans quelles conditions l'évolution
agricole de la région de Loudéac a fait ses premiers pas, et c'est
ce que j'ai voulu me rappeler.
Et c'est
finalement avec une certaine fierté que j'ai pu dire, il y a une
quinzaine d'années au cours d'une réunion du CDDA de la Sarthe où
je siégeais en tant que président du Ceta du Mans : « j'ai
connu la Bretagne avec 20 ans de retard sur l'agriculture sarthoise,
elle a maintenant 20 ans d'avance. »
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