ALGERIE,
LA GUERRE DU LAIT. LES ELEVEURS DEPOSSEDES DE L'OR BLANC
Djamel BELAID 12.02.2016
djamel.belaid@ac-amiens.fr
Depuis plusieurs années, les
pouvoirs publics ont considérablement investis dans la filière
lait. Les subventions publiques accordées aux éleveurs sont
notables. Les prix du lait sont garantis. Pourtant les éleveurs se
plaignent d'une activité de moins en moins rémunératrice. Pourtant
des solutions existent.
UN MARCHE LOCAL CONVOITE PAR LES
OPERATEURS PRIVES LOCAUX ET ETRANGERS
Depuis quelques années, en
Algérie, le marché de la transformation des produits laitiers est
en pleine expansion. Il s'agit d'un marché caractérisé par de
nombreux opérateurs de petite taille dans le quel émerge quelques
grosses entreprises locales. Certaines d'entre elles ont étaient
reprises par des opérateurs étrangers. C'est le cas des Laiteries
Djurdjura rachetées par Danone ou de l'entreprise Priplait rachetée
ce mois-ci par Promasidor Djazaïr, entreprise d'origine
sud-africaine.
Il
s'agit souvent d'entreprises situées dans des pays où le marché
est mature et où les seules possibilités de profit se situent au
de la zone d'influence traditionnelle. Souvent de telles entreprises
se doivent de rassurer leurs actionnaires par le versement de
dividendes toujours plus élevés que leurs concurrents.
Dans
le cas algérien, ces investissements étrangers sont intéressants.
Ils apportent une partie de savoir faire technique et managérial.
Promasidor possède une réelle expérience du packaging et de la
diversification des produits laitiers. Idem quant à Danone, mais ce
dernier apporte également son expertise dans le suivi technique des
éleveurs.
AUGMENTER LE TAUX DE VALEUR DES
EXPLOITATIONS LAITIERES
Une des solutions au problème
récurrent de revenu des éleveurs consisterait à augmenter la
production laitière en massifiant l'offre par exploitation.
Cependant, les freins sont nombreux : absence d'autonomie
fourragère d'un grand nombre d'exploitations et faible niveau
technique des éleveurs. Une autre voie, n'excluant pas la première,
consisterait à ce que les éleveurs augmentent le taux de valeur de
leur activité. En effet, la production intensive à elle seule ne
crée pas de valeur ajoutée. Cela passe pour les éleveurs par
l'appropriation de la capacité à transformer leur production
laitière.
En effet, actuellement, ils
livrent leur lait à des collecteurs officiels et/ou développent des
stratégies de commercialisation parallèle en vue de bénéficier de
prix plus intéressant. Ainsi, se développe une vente de lait frais
par l'intermédiaire de détaillants urbains . Parfois, des
éleveurs possèdent même des points de vente en milieu urbain sous
forme de crémeries. Ils y réalisent la vente de lait frais et
développent également une transformation artisanale. Il s'agit
d'éleveurs commerçants.
A la place de ces stratégies
individualistes, la solution la plus efficace afin d'absorber le
maximum de lait serait de développer des ateliers semi-industriels
de transformation du lait.
HARO SUR LES COOPERATIVES
En Algérie, comme d'ailleurs
dans les pays limitrophes, les tentatives administratives des années
60-70 de regrouper les paysans sur les terres de gros propriétaires
absentéistes a été globalement un échec. Cette époque a laissé
des traces dans la mémoire des paysans, de l'encadrement de terrain
et des décideurs politiques. Aussi, aujourd'hui les formes de
regroupements paysans non pas des moyens de production, mais pour la
collecte ou l'approvisionnement en intrants reste très minoritaires.
Différentes études montrent cependant qu'il serait faux de penser
que les paysans sont réticens à toute forme d'organisation
permettant de défendre leur marge. Cependant, toute forme
d'organisation coopérative doit venir des producteurs et non pas
être imposée de haut.
De leur côté les pouvoirs
publics n'ont pas montré de zèle excessif à aider au développement
de groupements paysans. Certes, des textes et des exonérations
fiscales existent, mais elles sont peu connues de la masse des
éleveurs. Il semble que dans les années 80, sous l'injonction de la
Banque Mondiale les pouvoirs publics aient uniquement opté pour
l'initiative privée. Dans un entretien à Beur TV disponible en
ligne, Taïeb Ezzraïmi, PDG des Semouleries Industrielles de la
Mitidja (SIM) témoigne : « c'est Sid Ahmed Ghozali qui
m'a conseillé d'investir dans la meunerie en rachetant un moulin
d'Etat ».
UNE BUREAUCRATIE D'ETAT
CONSERVATRICE
La recherche de l'immédiateté
de résultats, un penchant pour le libéralisme et un lien étroit
entre classes dirigeantes du secteur public aura aidé au choix de
solutions privées. Alors que la commercialisation de lait en dehors
de circuits non officiels est qualifié de secteur « informel »,
on peut se demander comment qualifier cette collusion d'intérêts
hauts cadres dirigeants à l'époque du réajustement structurel.
L'expression d'informel formel pourrait être la plus appropriée.
Certes, il semble plus difficile
d'organiser des éleveurs en groupement de producteurs que de créer
des groupes privés. Le conservatisme rural n'est pas à négliger,
mais la façon de procéder de bons nombre de cadres, et cela à tous
les niveaux, montre que ce conservatisme est également présent au
niveau des élites dirigeantes nationales mais également des
responsables des services agricoles de wilaya.
GUERRE FEROCE ENTRE LAITERIES
Une récente étude
universitaire1
réalisée au niveau de la filière lait dans la région de Chéliff
en Algérie met en évidence la concurrence féroce qui s'popére
entre laiteries. Se font ainsi face laiteries privées aux laiteries
d'Etat mais également entre laiteries privées.
Afin d'obtenir le maximum de
lait les laiteries privées offrent 40 DA le litre aux éleveurs là
où la laiterie d'Etat (Giplait) ne peut offrir que 32 DA.
Outre les prix, les laiteries
privées offrent toute une gamme de services afin de fidéliser les
éleveurs :
-soins
des troupeaux: avec mise à la disposition des éleveurs d'un
vétérinaire. Les interventions peuvent être gratuite selon le
niveau et la nature de l’intervention;
-allégement
des procédures administratives: prise en charge des interventions
avec l’administration. Il est épargné ainsi aux éleveurs les
démarches relatives en matière de récupération des primes
octroyées dans le cadre du soutien à la production.
-avantages
de paiement et des avances: les modalités de paiement de la
production livrée sont laissées au choix des éleveurs. C’est à
l’éleveur de préciser s’il préfère un règlement
hebdomadaire, bihebdomadaire ou mensuel de ses livraisons. Il peut
même être proposé une avance sur livraison;
-livraison garantie de
l'alimentation en concentrés: certaines laiteries ont installé des
unités de fabrication d’aliments de bétail. La production est
bien entendue réservée en priorité aux éleveurs qui livrent leur
production à la laiterie.
Par ailleurs afin de s'assurer
un approvisionnement garanti, certaines laiteries privées possèdent
des fermes avec une centaine de vaches laitières. Cela présente
également un avantage : transformer du lait frais non mélangé
à de la poudre de lait. Les produits ainsi obtenus sont préférés
par les consommateurs par rapport à ceux de Giplait, en partie
obtenus avec du lait en poudre.
Ce qui fait dire aux auteurs de
l'étude : « une nouvelle carte
se dessine progressivement dont le paysage est segmenté
sur le plan géographique en fonction des stratégies “actives”
des mini-laiteries vis-à-vis de leurs fournisseurs, imposant de plus
en plus de vraies barrières à l’entrée d’éventuels
concurrents. »
1
NEW MEDIT N. 3/2014
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