CEREALES EN
ALGERIE:ELEMENTS POUR UNE REFORME EN DOUCEUR DES CCLS.
Djamel
BELAID 30.01.2016 djamel.belaid@ac-amiens.fr
En Algérie, l'approvisionnement en intrants des céréaliers et l'organisation de la collecte des céréales repose sur les Coopératives de Céréales et de Légumes Secs. Il s'agit de dépôts de wilaya sous tutelle de l'Office Algérien Interprofessionnel des Céréales. Ces dépôts ont un fonctionnement administratif. Est-il possible dans ces conditions de booster la production céréalière locale ? Ne faudrait-il pas orienter progressivement les CCLS vers un fonctionnement autonome identique aux coopératives céréalières paysannes telles qu'elles existent à l'étranger ? Cette réflexion vise à proposer des éléments pour une transition progressive des CCLS.
OAIC DES MISSIONS MULTIPLES
L'OAIC a pour mission d'approvisionner en blé les différentes régions du pays. A ce titre, son travail de logistique est remarquable dans la mesure que ce soit à Alger ou à Tamanraset, le prix du quintal de blé est identique. Au sein de cet office, il existe plusieurs divisions dont la Division de la Commercialisation, de la Régulation et de l’Appui à la Production1.
« Cette division est chargée de l’activité de régulation inter-coopératives et de l’organisation des campagnes de semailles et de moissons, ainsi que de la production de semences. Elle se divise en deux directions :
- Une Direction de la Régulation et de la Distribution (D.R.D): chargée d’organiser, d’animer et de coordonner, dans les meilleures conditions de compétitivité, de qualité et de sécurité l’ensemble des opérations de réception, entreposage, stockage, ainsi que de la régulation des flux des produits, en collaboration avec l’ensemble des acteurs concernés et ce, afin d’assurer la disponibilité permanente des produits sur l’ensemble du territoire national.
- Une Direction des Semences et de l’Appui à la Production (D.S.A.P) : chargée d’élaborer et de mettre en œuvre le plan de production des semences, d’optimiser l’utilisation des intrants agricoles et d’assurer l’ensemble des études et contrôles phytosanitaires approprié ».
Bien que les personnels des CCLS aient pour tâche de vendre des intrants, de façon étonnante, ils ne sont pas rémunérés en fonction des quantités vendues. Il en est de même concernant la collecte ; le personnel des silos ne reçoit pas de primes significatives en fonction des quantités collectées. Seule une politique commerciale agressive peut permettre une meilleure pénétration du progrès agronomique.
LES CCLS, POUR PLUS DE PRINCIPE DE SUBSIDIARITE
Une des principales critiques à formuler à l'encontre des CCLS concerne leur absence de politique commerciale dynamique et leur absence de vision à long terme. Pourtant, l'OAIC et les CCLS ont tout intérêt à être réformés sous peine de disparaître dans le cas d'une adhésion de l'Algérie à l'OMC. Cela a été le cas de l'Office des Céréales au Maroc.
Afin de favoriser la production céréalière, les pouvoirs publics doivent orienter l'OAIC vers de nouvelles pratiques.
L'analyse des pratiques d'intervention de la puissance publique durant ces dernières années dans le domaine agricole montre que la majorité des actions ont consisté à une politique massive de subventions. Or, on aurait pu s'attendre également à une politique visant à une meilleure efficience des moyens alloués au secteur agricole.
Les actions à développer devraient favoriser l'émergence de groupements locaux de céréaliers. Plusieurs activités de l'Oaic pourraient y concourir. Certes, dans les années 70, l'expérience malheureuse des coopératives agricoles de production a donné une image négative de ce que peut être la coopération agricole. Mais il serait infondé d'affirmer que les agriculteurs algériens n'ont pas l'esprit coopératif. Que ce soit en Tunisie ou au Maroc où différentes politiques plus ou moins poussées de collectivisation des terres ont eu lieu, différentes analyses montrent que les agriculteurs ne sont pas contre des formes coopératives pour se procurer intrants, aliments du bétail, pour collecter leur production ou la transformer2.
DES VOIES PRIVILEGIEES D'ACTION
Une solution radicale que pourrait prendre les pouvoirs publics serait de donner à tout groupement de céréaliers organisé en coopérative d'approvisionnement et de collecte les mêmes droits que les CCLS ainsi que le droit à transformer les céréales3 (meunerie et semoulerie) et ainsi à recevoir les mêmes compensations financières que reçoivent les industriels de la meunerie et la semoulerie.
Une solution moins radicale serait de favoriser une prise en charge progressive de l'activité d'approvisionnement et de collecte par les céréaliers. Les CCLS pourraient y contribuer de différentes façons.
Concernant l'approvisionnement en engrais et produits phytosanitaires, les CCLS pourraient favoriser les achats groupés en accordant des remises de prix. Une telle mesure ne pourrait que favoriser la pratique de commandes groupées à partir de douar, villages ou unités géographiques plus larges. Certes, une telle mesure peut encourager des dysfonctionnements comme des cas d'alimentation d'un marché prallèle.
L'OAIC a pour mission d'apporter une aide pour la campagne labour-semis et moisson-battage. Ce sont les sections motoculture des CCLS qui en sont chargées. La demande des agriculteurs en location de matériel est grande. Pour des raisons économiques les CCLS n'attribuent du matériel à une zone que lorsque un minimum d'hectares à travailler sont réunis. Cette politique peut constituer la base afin de renforcer les solidarités locales et un embryon de concertation paysanne. Certes, des dysfonctionnements persistent4 « Un agriculteur croisé, hier matin, ne cessait de fulminer contre certaines conditions exigées par la CLS pour pouvoir mettre à disposition des machines et de déclarer : «On exige de nous une commande de 80 heures et un chauffeur en plus pour faire sortir les machines». Des conditions pour le moins incongrues qui ne sont pas faites pour booster une campagne qui bat de l’aile. «La CCLS exige en sus 3000 DA l’heure». (…) M. Kadda Gouacem, directeur de la CCLS-Tiaret, explique que contrairement à ce qu’avancent certains agriculteurs, son organisme qui dispose de 51 moissonneuses conditionne la mise à disposition des machines par des considérations économiques, et d’ajouter: «Nous exigeons de nos partenaires de nous réunir un minimum de 30 clients pour amortir les frais dont ceux induits par le gasoil qui coûte cher».
CONFIER PLUS DE RESPONSABILITES AUX ELUS DES CCLS
Les CCLS présentent la particularité d'avoir des instances élues. L'assemblée générale élit un conseil de gestion. Mais c'est la tutelle, c'est à dire la direction de l'OAIC à Alger, qui nomme un directeur. Le principe d'une gestion autonome paysanne est donc faussée puisque c'est le directeur qui décide. Certains rétorqueront que cela permet d'éviter des dysfonctionnements. Il ne s'agit pas de les ignorer, mais c'est en confiant progressivement des responsabilités que pourra émerger des élus paysans représentatifs et intégres.
Il est quand même ahurissant qu'en 2016, ce soit les pouvoirs publics, à travers un directeur de CCLS, qui soient chargés du planning des moissonneuses-batteuses au fin fonds des campagnes. La puissance publique à d'autres fonctions régaliennes que celles-ci. Par ailleurs, les directeurs des CCLS étant souvent des ingénieurs agronomes, on peut être étonné que ce type de cadres techniques soient employés dans de telles tâches de gestion. Il faut en effet rappeler le faible niveau technique de notre céréaliculture. Les ingénieurs agronomes devant plus être employés à la mise au point de techniques adaptées pour solutionner les problèmes des agriculteurs.
Afin de progressivement passer l'entière gestion des CCLS à des élus paysans représentatifs, plusieurs solutions sont possibles : confier l'entière gestion de certains secteurs à un élu (exemple l'unité motoculture), pour toute décision apposer une co-signature (directeur de CCLS, président élu), augmenter les parts sociales des sociétaires. Cette démarche devrait s'accompagner d'une formation des élus à la gestion et au management par une école des cadres paysans.
La gestion de certains secteurs des CCLS aux élus est un moyen de signifier la volonté d'un désengagement progressif de l'Etat. C'est également un bon moyen de formation de gestionnaire. La co-signature des documents est un moyen de forcer les directeurs de CCLS d'écouter leur conseil de gestion. Enfin, l'augmentation des parts sociales détenues par les agriculteurs est la condition essentielle à tout transfert de responsabilité. Cette augmentation peut se faire progressivement par la déduction, sur le prix de chaque quintal de blé livré à la CCLS, d'un pourcentage défini en commun.
DES MOULINS AU SEIN DES CCLS ?
Une troisième solution pourrait être de donner la possibilité aux CCLS de développer une activité de transformation des grains avec notamment possibilité de recevoir les compensations financières afférent à ce type d'activité. Le bénéfice tiré de cette activité serait alors redistribué proportionnellement aux quantités de grains livrés par les céréaliers adhérents à la CCLS . Le personnel5 des CCLS devrait également être intéressé par l'intermédiaire de primes de rendement. Une telle situation est le cas des coopératives céréalières paysannes en France. Cependant, les statuts des CCLS ne permettent pas une telle activité. C'est d'ailleurs bien le signe que ce ne sont pas de véritables coopératives et qu'elles usurpent cette dénomination. On peut également imaginer un scénario où les CCLS contribueraient à installer une telle activité puis progressivement à la céder à des céréaliers qui auraient acheté des parts sociales. Une telle réflexion devrait avoir lieu au sein de l'OAIC qui emploie pas moins de 400 ingénieurs agronomes6. « Je ne suis pas sûr aujourd’hui qu’avec la méthode actuelle que ces 400 ingénieurs soient utilisés à 100% de leur potentiel» a affirmé Mr Ferroukhi ministre de l'Agriculture et du Développement Rural. N'est ce pas là le meilleur moyen de développer le principe de subsidiarité et de considérer les céréaliers comme des adultes au lieu de les cantonner dans des positions subalternes. Dans une vraie coopérative, il est à rappeler que ce sont les agriculteurs qui recrutent le directeur. Aux céréaliers également de reconquérir le droit de transformer leurs grains.
Une telle évolution aurait l'avantage de réduire les besoins subventions étatiques des CCLS7. Certes, les capacités de première transformation des céréales actuellement installées en Algérie sont suffisantes et certaines ne sont actuellement employées qu'à 50% de leurs capacité. Cette situation pourrait d'ailleurs constituer le principal argument de la profession des transformateurs de grains ayant racheté les moulins publics et bien décidé à garder leurs avantages et à surtout pas partager « la rente céréalière ».
CONCLUSION
En matière de commerce du grain, la solution choisie en Algérie par les pouvoirs publics consiste en un monopole d'Etat. On peut penser que cette solution aura permis d'éviter des spéculations sur un produit de base pour l'alimentation locale.
Il ne s'agit pas de déroger à ce principe. Mais, les CCLS sont marquées par un fonctionnement très administratif qui ne permet pas un accompagnement dynamique des céréaliers tel qu'il existe dans le cas de coopératives céréalières paysannes à l'étranger.
Afin de passer progressivement du système actuel à un autre plus performant, des mesures peu coûteuses peuvent permettre aux CCLS de favoriser la création de groupements paysans d'approvisionnements et de collecte voire de transformation. Ce rôle pourrait être dévolu à la Division de la Commercialisation, de la Régulation et de l’Appui à la Production de l'OAIC. A la forme actuelle d'encadrement centralisé et administratif des céréaliers viendrait progressivement émerger une autre forme autonome et paysanne comme celle-ci existe dans toute agriculture moderne.
On peut noter à ce propos les trop rares études universitaires consacrées au fonctionnement des CCLS et à leur relation avec la paysannerie. Il serait souhaitable que des sociologues et économistes s'intéressent à ce sujet. Cela est regrettable dans la mesure où une bonne partie de la production céréalière passe par ce type de structures.
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