jeudi 18 février 2016

ALGERIE, LA REVOLUTION FOURRAGERE A VENIR

ALGERIE, LA REVOLUTION FOURRAGERE A VENIR
Djamel BELAID 18.02.2016 djamel.belaid@c-amiens.fr
Un processus est en marche en Algérie, celui de la constitution de grands groupes agro-alimentaires. Ces groupes prospèrent sur la transformation des produits agricoles. Les céréales et les produits animaux constituent le socle de leur activité. En captant la plus grande partie de la valeur ajoutée produite en agriculture ces groupes se renforcent et élargissent leurs activités. Certains établissent même des partenariat avec des entreprises étrangères . Plusieurs indices montrent que l'aboutissement naturel de ce processus pourrait aboutir à de profonds changements dans les campagnes algériennes. L'Algérie est à l'aube d'une révolution technique : la révolution fourragère.

ALGERIE, UNE DEMANDE CROISSANTE DE PRODUITS ANIMAUX
Marquée par la proximité du modèle alimentaire français, la demande locale en produits animaux est exponentielle. Pour la satisfaire les importations annuelles moyennes de maïs et de soja sont de 1,4 milliards de dollar. L'augmentation naturelle de la population entretien également cette demande.
Aujourd'hui en Algérie, les laiteries fleurissent un peu partout. Encouragées par les fortes marges tirées de cette activité, les investisseurs se ruent sur ce secteur d'activité. Dans certains basins laitiers comme dans le Chéliff, les différentes laiteries s'opposent dans des luttes sourdes afin de conquérir la production des élevages laitiers.
Les consommateurs profitent d'une offre diversifiée en produits laitiers : lait fermenté, yaourts, fromages dont la Tomme de Kabylie ou le Berbère récemment racheté par une firme sud africaine. Le modèle tunisien avec une surproduction de lait semble conforter le dynamisme de cette filière.

BASSINS DE PRODUCTIONS ANIMAUX OU MODELE ECLATE
Certaines régions agricoles se distinguent pour leur forte production laitière : Sétif, la région de Tizi-Ouzou, la vallée du Chéliff ou Souk Ahras. Dans le Sud du pays, la douceur du climat et l'eau des nappes phréatiques ont permis la mutation de l'élevage traditionnel caprin et camelin vers les bovins laitiers. Et là aussi les laiteries prospèrent. Lorsque la production locale de lait frais ne suffit pas le lait en poudre importé vient à la rescousse. C'est notamment le cas des laiteries du groupe public Giplait.

Là où les experts agricoles diagnostiquaient dès les années 80 l'obligation d'un modèle alimentaire basé sur des protéines végétales, ce sont les protéines animales qui dominent. A la place des légumes secs : lentilles, pois-chiches, fèves, les consommateurs privilégient fromages et yaourts. Ce modèle est-il tenable dans un pays semi-aride ? Développer les produits animaux nécessitent un développement des productions fourragères. Or, pour produire un litre de lait, ce sont 500 litres d'eau qui sont nécessaires. Dans le Sud du pays la production fourragère est basée sur l'exploitation des nappes phréatiques. Or, comme dans la plupart de ces nappes l'eau ne se renouvelle pas, ces productions ne sont pas durables. Il s'agit d'une Ground Water economy sans avenir. D'ailleurs, l'Arabie Saoudite qui avait basé son agriculture sur l'exploitation de nappes phréatiques a mis un coup d'arrêt à cette activité. Reste les terres plus au Nord : steppe et régions céréalières.

DES MILLIERS D'HECTARES SOUS EMPLOYES
La steppe constitue une immense zone plantée naturellement d'espèces fourragères. Cependant, il s'agit d'une zone fragile actuellement sur-exploitée par les éleveurs ovins. Les aménagements du HCDS tels les plantations d'arbustes fourragers (attriplex, accacias, opuntia) et ouvrages pour l'épandage des crues permettent une exploitation plus rationnelle du milieu. Cependant la fragilité du milieu et l'inorganisation des éleveurs rend hypothétique une production fourragère massive. Reste les régions céréalières. Les pratiques actuelles montrent une large place de la jachère travaillée et pâturée.
Traditionnellement les rotations comprennent du blé dur bénéficiant de prix garantis et d'une prime spécifique à ce type de blé. Au blé dur succède le plus souvent la jachère. Toutes les exploitations n'ont pas les moyens de cultiver du foin de vesce-avoine ou des légumes secs. Malgré une forte demande, le manque de matériel et de main d'ouvre handicapent le développement de ce type de fourrages. Quant aux légumes secs, le manque de formation des producteurs ne leur permet pas de développer des semis d'hiver qui permettraient des hausses significatives de rendement.

LES PREMISSES D'UNE REVOLUTION FOURRAGERE
Une révolution fourragère pourrait provenir de la demande en produits laitiers. Déjà Lounis Hammitouche, PDG des Laiteries Soummam, indique que suite à la demande d'éleveurs laitiers constantinois, il a créé une entreprise de travaux agricoles pour la récolte des fourrages. Cela a été possible grâce au matériel moderne importé par le PDG d'Axium. Il s'agit d'un vétérinaire visionnaire ayant développé une concession de matériel agricole et un appui technique aux agriculteurs de la région. Lounis Hammitouche raconte « Des éleveurs sont venus me voir en me disant que les fourrages enrubannés sous forme de balles rondes se conservaient plus longtemps et gardaient toute leur valeur nutritive ». Dans la région de Tizi-Ouzou, des éleveurs reçoivent des balles rondes enrubannée en provenance de Ghardaïa. Les pouvoirs publics subventionnent ce type de fourrages pour les éleveurs en hors-sol.
Une dynamique se fait jour. Aux traditionnels mode de récolte de foin s'ajoutent les balles rondes enrubannées permettant le développement de l'ensilage. A cela s'ajoute le développement de la culture de la luzerne et du sorgho avec complément d'irrigation.

MODERNISER L'EXPLOITATION DES TERRES EN JACHERE
Le rêve des services agricoles a toujours été de remplacer les terres en jachère par des cultures ; mais en vain. Ce rêve pourrait s'exaucer sous la pression de l'industrie laitière et de l'industrie des aliments du bétail pour ruminants et volailles.
L'industrie de transformation agro-alimentaire a besoin d'un approvisionnement régulier. Comme pour ces paysans Bretons a qui les agronomes avaient appris à retourner leurs prairies et à semer des fourrages plus productifs, cette industrie pourrait constituer un aiguillon plus fort que les pâles efforts des services agricoles.
L'entreprise SIM vient ainsi s'allier à la filiale Sanders du groupe français Avril pour produire à Aïn Defla une usine d'aliments du bétail. Deux autres usines devraient suivre. A l'approvisionnement indispensable du marché local par des tourteaux de colza du groupe Avril pourrait venir progressivement s'ajouter des matières premières produites localement (féverole, pois protéagineux, tournesol). Des groupes comme Bellat qui assurent la transformation de la viande de volailles ont besoin d'un approvisionnement régulier et développent pour cela leur propre élevage et usine d'aliment du bétail.

Ainsi, pour la première fois, une impulsion économique est là. Elle est donnée par la recherche de plus de valeur ajoutée par des groupes tels Laiterie Soummam, SIM, Bellat ou Danone-Djurdjura qui ont intérêt à un approvionnement des éleveurs en fourrages grossiers et concentrés. Parfois ce sont de gros exploitants qui disposent de taurillons à l'engraissement et tentent d'optimiser leur production fourragère. Par ailleurs, il existe un grand nombre d'élevages laitiers et avicoles hors-sol. Par leurs apports à l'économie et par le nombre d'emplois concernés, les éleveurs constituent une force sociale non négligeable. Les producteurs de lait hors sols sont particuliérement revendicatifs et structurés en associations à l'origine de mouvements revendicatifs.
Sur les zones céréalières, à la traditionnelle association céréaliculture-élevage ovin extensif, pourrait se substituer le développement, d'un modèle céréaliculture-fourrages plus rénumérateur. La mécanisation pourrait y contribuer. C'est le cas de la technique du non-labour avec semis direct qui réduit considérablement les coûts de mécanisation . C'est également le cas des nouvelles techniques de récolte des fourrages.
La réduction de l'association céréales -élevage ovin extensif pourrait permettre d'améliorer la fertilité des sols en permettant plus de restitutions organiques aux sols. L'irrigation d'appoint, non plus uniquement en mobilisant l'eau souterraine, mais également en mobilisant les eaux de surface peut permettre l'allongement des cycles de culture et ainsi diversifier les cultures. Bien que le semis direct, par sa meilleure gestion de l'eau du sol, et l'utilisation de semis d'hiver au lieu de semis de printemps pour certaines cultures telles le tournesol et les protéagneux ouvrent des possiblités d'intensification en cultures pluviales.

IMPULSION ECONOMIQUE MAIS AVEC QUEL APPUI TECHNIQUE DE TERRAIN ?
De telles perspectives de développement des cultures fourragères ne sont possibles cependant que par un appui technique aux agriculteurs. Qui pourrait asurer ce suivi dans l'état actuel des choses ?
Les services agricoles assurent une faible diffusion du progrès agronomique.
La solution pourrait provenir du secteur de la transformation laiteries, semouliers, fabricants d'alimens du bétail. La contractualisation est une des solutions. Les industriels se chargent par contrat d'acheter les productions des agriculteurs sous contrat à des prix garantis, en échange, ils assurent les semences, engrais, phytos et suivi technique.
Une voie médiane pourrait être la constitution de sorte de clubs techniques paysans à l'image des CETA français (Centre d'Etudes Techniques Agricoles). Il s'agit de groupes de paysans qui se réunissent pour progresser techniquement et qui recrutent un technicien payé en partie par la Chambre d'Agriculture locale.

LE ROLE D'ACCOMPAGNEMENT DES POUVOIRS PUBLICS
Les pouvoirs publics qui jusque là ont peiné à moderniser le secteur agricole disposent ainsi d'opportunités appréciables. A eux de savoir jouer finement afin d'encourager les tendances productives actuelles.
La puissance publique disposent de plusieurs leviers :
-en demandant aux groupes algériens ou étrangers investissant localement plus de contractualisation, elle peut permettre un meilleur encadrement technique des producteurs,
-par le niveau des droits de douanes, elle peut contrôler le niveau d'importation des tourteaux oléo-protéagineux et ainsi l'attractivité de leur production locale,
-par l'attribution de postes budgétaires à des organisations professionnelles représentatives, elle peut stimuler un type de vulgarisation efficace,
-par la facilitation des possibilités de commercialisation et de transformation de la part de coopératives paysannes, elle peut permettre l'auto-organisation de la petite paysannerie actuellement en marge du progrès agronomique. A ce titre elle peut ainsi concourrir à une meilleure répartition de la valeur ajoutée en agriculture.

L'AGRO-ALIMENTAIRE PILOTE L'AGRICULTURE
En Algérie, en absence de coopératives paysannes, la captation de la valeur ajoutée par l'industrie agro-alimentaire lui assure une forte rentabilté rentabilité. Son développement passe par l'approvisionnement en matières premières : lait, viande, tourteaux et céréales. Face à la volonté nouvellement affichée par les pouvoirs publiques de réduction des importations - liées à la baisse de la rente pétrolière - cet approvisionnement ne peut que être garanti par un plus grand recours aux produits locaux.
La forte demande en produits animaux tire les productions de fourrages grossiers et concentrés. Du fait de pratiques extensives, le niveau de production fourragère est actuellement très moyen. Or, de grandes superficies sont susceptibles d'être consacrées à ces productions. L'afflux de capitaux vers le secteur agricole et la présence de cadres techniques peuvent aboutir à une véritable révolution fourragère dont certains prémisses sont déjà observables sur le terrain. Dans de grandes et moyennes exploitations en agriculture pluviale, on peut noter la présence de matériels nouveaux permettant la mise en œuvre de procédés modernes. Ceux-ci aboutissant à une augmentation en quantité et en qualité des fourrages tout en réduisant les coûts de main d'oeuvre. L'agro-alimentaire pilote en partie l'agriculture.
Par le biais de rotations plus longues, cette révolution fourragère à venir pourrait bénéficier à la culture de blé et à la production locale d'huile (cas de la production de tourteaux de colza et de tournesol).


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