lundi 29 février 2016

LETTRE OUVERTE A UN RESPONSABLE DE L'AGRICULTURE...

LETTRE OUVERTE A UN RESPONSABLE DE L'AGRICULTURE
Djamel BELAID 29.02.2016 djamel.belaid@ac-amiens.fr
et copie au :
-DG de PMAT,
-DG de l'ITGC
-DG de l'ENSA
-DG OAIC

Monsieur le Responsable,
Il ne nous est pas habituel d'utiliser le système de lettre ouverte au niveau de ce blog. Cependant, le motif soulevé ici est si crucial qu'il nous semble que c'est là un des moyens afin de faire bouger les choses.
Tout d'abord, nous voudrions vous témoigner notre admiration face aux efforts que vous déployez afin de faire avancer la production agricole dans le pays.
En tant qu'ingénieur agronome, nous nous permettons de vous signaler qu'il existe un semoir extraordinaire à la station ITGC de Sétif.
Pourquoi attirer votre attention sur ce modeste engin ? En fait, techniquement, il peut permettre de révolutionner la pratique de la céréaliculture en zone semi-aride. Il s'agit d'un semoir pour semis direct sans labour ou zero-till (ZT).


UN SEMOIR, INETADJ MAHALI
Avant d'aborder la question de cette technique révolutionnaire, quelques mots sur ce semoir. Car, il a toute une histoire. Il ne s'agit pas d'un engin d'une grande firme internationale telle Kuhn, Amazone ou Gaspardo. Non, il s'agit d'un semoir syrien. Oui, syrien, fruit de l'« inetadj mahali ». Ce semoir de marque « Achbel » n'est pas le seul à avoir été construit localement par d'ingénieux artisans. Il en existe d'autres produits par 7 autres ateliers syriens qui en fabriquent des dizaines pour la plus grands joie des fellahs. Disons qui en fabriquaient avant 2012...

Photo:Iraqi manufacturers and engineers discussing zero-till seeder adjustments with first prototype”  April 2013, Erbil, Iraq.
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Mais il n'y a pas que les artisans syriens qui en fabriquent, il y en a en Irak. Quant à la firme Rama Manufacture en Jordanie, elle s'est lancée dans la fabrication à grande échelle.
Pourquoi ce soudain regain d'activité ? Cela est dû à un projet de coopération australien basé dès 2006 à l'Icarda d'Alep (Syrie). Des experts australiens ont ramené avec eux du matériel australien, l'ont testé localement et ont montré à des artisans comment en produire des versions locales.


UN SEMOIR SYMBOLIQUE
Le semoir entreposé à la station ITGC de Sétif est donc un de ces engins produits grâce à la coopération australienne. Certes, il n'est pas aussi performant que le même type de semoir australien de marque John Shearer actuellement présent dans cette station. Il s'agit en effet d'une des premières versions produites en Syrie. Il s'agit d'apporter quelques modifications afin, notamment d'éviter les phénomènes de « bourrage » causés par la présence de résidus de récolte.
Ce semoir témoigne de l'extraordinaire collaboration qui a eu lieu à partir de 2008 entre experts australiens, agronomes syriens, céréaliers et artisans locaux.

Vous vous en doutez, Monsieur le Responsable, si nous attirons votre attention sur l'histoire de ce modeste engin, c'est pour envisager, à nouveau, de recréer cette synergie en Algérie. Cette synergie qui a fonctionné à Alep, ne pourrait-elle pas fonctionner à Sétif ? En effet, nous avons de nombreux artisans et industriels privés ou publics (dont le groupe PMAT).
Certes, il faudrait que les experts australiens dont l'infatigable Jack Desbiolles* soient invités en Algérie. Il s'agirait également que l'abondante documentation disponible en ligne sur internet et décrivant les résultats de la fabrication ainsi que l'emploi des semoirs ZT soit largement diffusée en Algérie. Pourrait-on espérer ainsi que des artisans, des ingénieurs de PMAT, des chercheurs en machinisme de l'ENSA d'El-Harrach s'emparent ainsi de ce sujet.


MAIS POURQUOI LES SEMOIRS ZT SONT-ILS REVOLUTIONNAIRES ?
L'intérêt des agriculteurs pour les semoirs ZT est illustré par le nombre croissant d'ateliers qui en Syrie, Irak, Jordanie, Turqui et Iran se sont mis à les fabriquer. Et en Irak, avant que les premiers semoirs ZT ne soient fabriqués, des céréaliers locaux ont pris l'initiative de transformer leurs semoirs conventionnels en semoirs ZT. Pour cela, ils ont ajouté des dents et des roues plombeuses.

Le principal intérêt des semoirs ZT vient du fait qu'ils permettent d'économiser l'humidité du sol. En cas de sécheresse, là où les parcelles en conduite conventionnelles (labour) sont sinistrées, les parcelles semées avec un semoir ZT permettent une récolte honorable. Par ailleurs, avec leur dents ne travaillant le sol que sur une faible profondeur, les semis peuvent être réalisés dès octobre. Enfin, l'abandon du labour permet une économie de carburant très intéressante en cette période de hausse du gazoil. Certes, l'emploi des semoirs ZT nécessite de maîtriser le désherbage.

Autre avantage, un semoir ZT permet de semer du blé et de l'orge mais également le mélange vesce-avoine ou pois-triticale comme le fait avec succès la station de Sétif. Il est également possible de semer des legumes secs. Les céréaliers sont passés maître dans la production de pois-chiche et de lentilles.

L'autre intérêt de semoirs ZT à dents produits localement vient de leur faible coût de production : moins de 5 000$ contre le triple et parfois plus pour les semoirs européens ou brésiliens. En Syrie, puisque fabriqués localement, ces semoirs sont aussi réparés localement. Il y a donc là le moyen de porter la révolution du semis direct au cœur des petites et moyennes exploitations. En Algérie, Maroc et Tunisie, les grosses exploitations céréalières ont vite compris l'intérêt des semoirs ZT et pas mal se sont équipées de modèles importés; Kuhn ou Semeato par exemple.



Monsieur le Responsable, nous savons que les questions agricoles sont complexes. Elles relèvent notamment de facteurs économiques, sociologiques, ou pédo-climatiques. La technique n'est pas une baguette magique. Cependant, avec les semoirs ZT, adoptés par 90% des agriculteurs australiens et plébiscités par ceux d'Irak et de Syrie, il y a là un moyen de revisiter le dry-farming. Car, vous le savez bien, on ne pourra pas irriguer toutes les surfaces agricoles.

Aussi, j'espère que votre staff technique pourra vous réunir tous les éléments relatifs à ce dossier pour le plus grand bien de nos productions de céréales, fourrages, légumes secs, et protéagineux.
J'espère également que parmi ceux qui nous aurons lu existe des personnes qui s'impliqueront dans ce dossier. N'avons nous pas coutume de dire « Yed wahda ma t'ssafagche » .

Veuillez agréer, Monsieur le Responsable, l'expression de nos sentiments distingués.
Djamel BELAID
Ingénieur Agronome.


Notes :
(*) voir sur google « The Practical Implementation of Conservation Agriculture in the Middle East » Stephen Loss · Atef Haddad · Jack Desbiolles · Harun Cicek · Yaseen Khalil · Colin Piggin· Technical Report · July 2015

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