OLEAGINEUX
EN ALGERIE, LES STRATEGIES DE CEVITAL ET DE SIM
Djamel BELAID 17.01.2016
En Algérie, le secteur
agro-alimentaire est en constante évolution. Après le secteur de la
transformation des grains, c'est le marché des huiles de table qui
pourrait faire l'actualité. L'approvisionnement local est
entièrement assuré par les importations d'huile brute. Avec la
baisse des revenus pétroliers cette situation n'est plus tenable.
CEVITAL et SIM pourraient profiter de la volonté des pouvoirs
publics de développer la trituration locale.
DEUX GROUPES AUX POTENTIALITES
OPPOSEES
Bien que le marché local des
huiles soit très disputé, deux groupes se distinguent du lot ;
il s'agit de CEVITAL et SIM.
Le premier possède
l'antériorité des projets de développement d'une trituration
locale des graines d'oléagineux. Depuis des années Issad Rebrab le
dynamique PDG de Cevital explique sur les plateaux de télévision et
devant les micros ses projets de développement d'une filière
oléagineuse locale. Selon l'industriel, l'approvisionnement pourrait
être assuré en partie par la culture locale de plantes telles le
colza et le tournesol. Mais le projet serait en stand-by.
Cevital possède l'énorme
avantage de maîtriser la production de différents produits gras
(huiles, margarines), leur conditionnement et leur distribution. Il
dispose à cet effet à Béjaïa d'installations modernes et d'un
management impeccable faisant appel notamment à des cadres de haut
niveau d'origine algérienne ou française.
Si le projet d'I. Rebrab semble
tenir la route, il repose cependant sur le développement rapide de
nouvelles cultures que connaissent pas les agriculteurs locaux. Cela
suppose donc de fortes incitations financières ainsi qu'un solide
réseau d'appui technique aux agriculteurs. Or, à part dans le cas
de la tomate industrielle, ce type d'approche initié par le groupe
Benamor, est quasi inexistant en Algérie. La réussite d'un tel
projet ne peut reposer que sur une lente montée en cadence. Les
références techniques concernant les itinéraires culturaux étant
absent, cela suppose des partenariats avec des référents étrangers.
Dans la région seule les marocains à travers le partenariat
Lesieur-Avril et de grands groupes agricoles français maîtrisent ce
type de culture. Or, Cevital n'a jamais détaillé comment le groupe
compte développer de zéro la culture des oléagineux et sur quels
partenariats il compte s'appuyer.
Faire tourner les presses d'une
usine de trituration nécessiterait donc de s'approvisionner sur le
marché extérieur en graines d'oléagineux.
DES CONTACTS CEVITAL
AVRIL-LESIEUR
Des contacts entre Cevital et la
filière française des oléagineux ont eux lieu dès 2003. En
témoigne ce compte rendu d'Agropol la division chargée du
développement à l'international. Il est question d'une rencontre
avec « le principal huilier privé », c'est à dire
Issad Rebrab.
« Une
délégation algérienne a été reçue en avril 2003 pour une série
de rencontre avec la filière française ayant pour thèmes :
l’expérimentation agronomique et le développement des cultures
ainsi que l’expérimentation technologique sur les graines dans les
différents sites du CETIOM, l’organisation de la collecte à la
Coopérative de St Jean d’Angely, et le fonctionnement de
l’interprofession par une présentation de PROLEA et de la FOP.
Ces
mises en relations ont d’ailleurs donné lieu à de nouvelles
visites en Algérie par quelques uns des organismes visités.
Par
ailleurs, le Président de la FOP participant à la visite officielle
de Jacques CHIRAC en Algérie a pu rencontrer le Ministre de
l’Agriculture et le principal huilier privé et a eu l’occasion
de leur expliquer l’intérêt que la filière pouvait trouver dans
le soutien au développement des oléagineux en Algérie ».
Notons
au pasage cet aveu : « L’Algérie
reste le meilleur client des huiles françaises (colza
et tournesol) et il est de l’intérêt
de notre filière de fidéliser ce marché à nos
produits en soutenant cette relance du colza et du tournesol en
Algérie ».
SIM UN REDOUTABLE OUTSIDER
A côté de Cevital, le groupe
SIM apparaît être un redoutable outsider. Taïeb Ezzraïmi ne
semble pas ouvertement décidé à investir dans la production
d'oléagineux. Le métier de base de ce dynamique industriel est
avant tout la transformation des céréales. Le groupe se targue en
effet de dominer le marché national en produits transformés et
d'être le leader concernant les exportations de pâtes alimentaires.
Le groupe a acquis en
concessions 5 000 hectares de terres agricoles dont 3 000 ha sont
consacrés aux céréales et 1 000 ha à la production d'huile.
Cependant, il s'agit d'oliviers et non pas de colza ou de tournesol.
Comment dans ces conditions penser que SIM puisse être bien placé
pour démarrer une activité de trituration ?
SIM possède un atout
considérable, contrairement aux autres groupes agroalimentaires, il
est l'un des premiers groupes à s'être orienté vers des alliances
stratégiques avec des partenaires étrangers. C'est notamment le cas
avec le groupe français Avril dont la filiale Sanders participe à
hauteur de 49% à un projet de construction de trois usines
d'aliments du bétail. La première de ces usines a d'ailleurs été
inaugurée en présence de l'ambassadeur de France à Alger.
Outre les aliments du bétail,
Avril possède l'énorme avantage d'une réelle expertise des
oléagineux. Ce groupe (ex-SofiProtéol) est d'ailleurs la cheville
ouvrière de la filière oléagineuse française.
SIM TETE DE PONT D'AVRIL EN
ALGERIE
Sans se douter des possibilités
de développement en matière d'oléagineux, SIM a conclu une
alliance stratégique de premier choix en travaillant avec Avril.
« Bonne pêche » pourrait-on dire.
Pour le groupe français, la
conjoncture française est morose. La France est un marché mature et
la concurrence entre grands groupes agricoles européens oblige à
un rédéploiement à l'étranger. Or, Avril mise sur l'Afrique.
L'implantation au Maroc, sa première d'envergure sur le continent, a
permis à Avril de mettre un pied sur ce « marché gigantesque »,
explique Jean-Philippe Puig, qui ambitionne de faire de l'Afrique
subsaharienne le « terrain de jeu » du groupe. Ce groupe s'est déjà
associé au Maroc et en Tunisie avec des acteurs locaux afin de
développer le secteur des oléagineux. Selon Jean-Philippe Puig,
directeur général du groupe Avril, "le développement de la
consommation d’huile de tournesol et de colza au Maroc devrait
signifier également des débouchés supplémentaires pour les
agriculteurs français1".
Toujours selon la même source, l'installation au Maroc, la première
de cette taille sur le continent, permet à Avril de mettre un pied
sur ce « marché gigantesque », explique Jean-Philippe Puig, qui
ambitionne de faire de l'Afrique subsaharienne le « terrain de jeu »
du groupe.
Outre la concurrence entre
grands groupes agricoles, le marché français est saturé par les
huiles de soja et les tourteaux de colza. Les premières sont un
sous produit des usines de production de tourteaux de soja entrant
dans l'alimentation azotée des animaux d'élevage et les seconds
sont des co-produits provennant des usines de fabrication
d'agrocarburants (diester) à base de colza. Or, Avril est fortement
engagé dans cette dernière activité. Il est donc essentiel pour ce
groupe de les exporter sur des marchés tiers donc le Maghreb. A ce
titre, pour Avril, SIM constitue une tête de pont idéale en
Algérie. Avec les 3 usines d'aliments de bétail SIM-SANDERS dont il
détient 49% Avril pourra exporter vers l'Algérie les excédents
français de tourteaux de colza. Cette politique est également
visible au Maroc. En effet, en signant un partenariat avec des
opérateurs marocains, Avril a prévu la possibilité d'achat en
commum de matières premières sur les marchés extérieurs. Si des
achats groupés peuvent permettre de meilleurs prix, on peut penser
que ces achats profiteront avant tout aux paysans français.
Par ailleurs, la filière
oléagineux française produit essentiellement des huiles de colza et
de tournesol ; or, les consommateurs algériens sont habitués à
consommer ce type de produits.
AVRIL UN SAVOIR FAIRE
INCONTESTABLE EN MATIERE D'OLEAGINEUX
On peut se demander dans ces
conditions comment Avril pourrait être un partenaire intéressant
pour le développement locale de la production d'oléagineux. En
fait, le marché maghrébin des oléagineux est convoité par
plusieurs producteurs : français, Ukrainiens, Russes et
Argentins. Ces pays développent une forte production de tournesol.
Dans ces conditions, le groupe Avril a tout intérêt à des accords
gagnant-gagnant.
Depuis longtemps les experts
français ont analysé que le marché maghrébin sera toujours
importateur de produits agricoles de base (céréales, huile, sucre).
De ce fait, contribuer au développement partiel des productions
locales n'empêchera jamais ces pays de continuer à importer
massivement des produits alimentaires. Il s'agit pour les paysans
français représentés dans les grands groupes agricoles tel Avril
de s'assurer de débouchés permanents vers le Maghreb, l'Egypte et
l'Afrique Sub-Saharienne. A ce titre, ils sont prêts à céder une
partie de leur savoir. La situation marocaine est une « aubaine pour
la ferme France », assure Jean-Philippe Puig à l'AFP. Même si la
production devrait nettement augmenter à l'horizon de 2020, « il
n'y aura jamais assez de tournesol et de colza, donc on va le faire
venir de notre réseau » d'agriculteurs français2.
Le gouvernement marocain a vite
compris ce nouveau contexte. Ainsi, en matière de céréales, ces
dernières années, le royaume chérifien a été un des premiers
pays du Maghreb à délaisser les céréales françaises pour un
approvisionnement bien moins cher en provenance de la Mer Noire. Les
services agricoles marocains ont récidivé en demandant, lors de la
signature du partenariat Avril-Lesieur d'un accord cadre prévoyant,
pour la partie française un appui technique aux producteurs
marocains d'oléagineux. « Concernant la filière, d’ici à
2020, le but du plan est d’atteindre une production de 230 000
tonnes de graines d’oléagineux dans le pays (deux tiers de
tournesol et un tiers de colza) sur 127 000 hectares. En 2015, la
filière devrait produire 25 000 tonnes, après 15 000 tonnes en
20143 ».
Ce programme mérite d'être
suivi attentivement en Algérie ; ce type de partenariat
pourrait constituer une voie d'avenir.
DECIDEURS DZ, JOUER FINEMENT
L'Algérie constitue un marché
intéressant pour les paysans français aujourd'hui organisés dans
de puissantes coopératives qui n'hésitent pas à racheter des
sociétés non coopératives. L'Algérie n'ayant pas su
progressivement monter de tels groupes paysans, le secteur
agroalimentaire se trouve aux mains de grands groupes privés. Afin
d'améliorer la production locale d'oléagineux la solution pourrait
être de favoriser les partenariats entre les groupes locaux et
étrangers.
Nul doute qu'en matière
d'intégration de filière le groupe SIM présente des atouts
indéniables : valorisation des tourteaux locaux vers ses usines
d'aliments du bétail, partenaire possèdant une réelle maîtrise de
la production de terrain. Cevital a toujours possédé la volonté
d'investir en amont.
La position des décideurs
pourrait être d'autoriser les projets de ces investisseurs, voire de
les encourager. La trituration n'impliquant pas des investissements
industriels aussi lourds que dans la filière betterave sucrière,
le marché local pourrait comporter plusieurs opérateurs. Ainsi,
dans le cas de Cevital surtout installé en zone littoral
l'approvisionnement pourrait se faire à partir de colza bien adapté
à l'étage climatique sub-humide tandis que dans le cas de SIM, déjà
plus implanté vers l'intérieur des terres, les approvisionnements
pourraient provenir de la culture du tournesol plus adapté à
l'étage semi-aride. Ainsi se mettrait en place une politique de
contractualisation entre groupes agroalimentaire et agriculteurs.
Comme dans le cas de certaines laiteries souhaitant sécuriser leur
approvisionnement en lait frais, ce sont les services d'appui
technique de ces grands groupes qui assureraient le suivi des
agriculteurs. L'expérience ayant montré, par exemple dans le cas de
la tomate industrielle, qu'un tel schéma est bien plus efficace que
l'action des services agricoles dépendant du MADR.
Quelle carte jouer pour les
agri-managers locaux souhaitant suivre l'exemple de la paysannerie
française qui a su se constituer en coopératives de collecte puis
de transformation ? L'apparition de grands groupes développant
la production locale d'oléagineux pourrait leur permettre d'acquerir
un savoir faire technique. Sachant produire des oléagineux, ils
pourraient alors réaliser de meilleures marges en investissant en
amont en développant des ateliers coopératif afin de produire huile
et tourteaux.
1
Comment le groupe Avril relance la filière oléagineux au Maroc
avec Lesieur Cristal
Par Adrien Cahuzac - Publié le
27 mai 2015
2
OLEAGINEUX: AVRIL (ex-SOFIPROTEOL) SE DEPLOIE EN AFRIQUE. 26 mai
2015 France-Agricole.
3
Adrien Cahuzac – Op cit.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire