BELAID
Djamel mis en ligne le 06.01.2016. Actualisé le 13.01.2016
La
campagne labours-semis actuelle 2015-2016 est marquée par une
sécheresse automnale qui s'est prolongée jusqu'en janvier. Selon
les régions, les pluies ont été plus au moins absentes. Les
services agricoles sont comme sidérés par la situation actuelle.
Leur immobilisme est alarmant. Si on ne peut rien contre le manque de
pluie, on peut être étonné du manque de mise à la disposition des
exploitations d'outils permettant de semer en conditions sèches. Car
ces techniques existent et permettent de bons résultats. A ce titre,
on peut parler de réelle gabgie de la part des services agricoles.
Au vu des potentialités, on assiste à un triple échec.
SECHERESSE
ET OUTILS ARATOIRES
Depuis de
nombreuses années, la culture de céréales en zone semi-aride est
la préoccupation de différents centres de recherches agronomiques
internationaux, que ce soit celui d'Alep (Syrie) ou de Settat
(Maroc). Bénéficiant du concours d'experts internationaux de haut
niveau, ces centres sont arrivés à des techniques permettant de
réduire les effets des sécheresses automnales ou printanières. On
peut être étonné de la non prise en considération de ce type de
résultats pourtant disponibles depuis plus de dix années.
La
principale de ces techniques concerne l'abandon du labour et son
remplacement par le semis direct. En effet, le Pr Rachid M'Rabet de
Settat a mesuré le dessèchement du sol après le passage de
différents outils d'implantation des céréales. Après avoir
apporté l'équivalent de 35 mm d'eau sur des parcelles d'essai, il a
mesuré chaque jour l'humidité du sol. Il a en particulier mesuré
le niveau d'humidité nécessaire à la vie d'un plant de blé. Pour
le cover-crop (ou pulvérisateur) le sol est resté humide 9 jours
après avoir été travaillé. Avec un outil à dent (chisel), le sol
est resté humide 10 jours. Mais après un labour, dès le lendemain,
le sol était sec. Utilisant alors la technique du non-labour avec
semis-direct, il s'est aperçu que le sol restait humide 25 jours.
Chacun aura bien lu, nous écrivons bien 25 jours !
La preuve
est donc faite qu'il existe des techniques qui permettent le maintien
de l'humidité du sol jusqu'à 25 jours après une pluie. Ces
résultats datent de 2001. Chacun peut les consulter librement sur
internet (1). Les chiffres cités concernant l'humidité du sol y
figurent au tableau 4 du document.
CAMPAGNE
« LABOUR-SEMIS » 2015, TROIS OPPORTUNITES RATEES
Au vu des
potentialités offertes par le non-labour, le premier échec vient de
sa non prise en considération pour les semis de céréales. Mais à
y regarder de plus près, le manque à gagner concerne également les
fourrages, les légumes secs et les oléagineux.
Les
caractéristiques climatiques locales font qu'en Algérie il existe
deux saisons : l'une sèche et l'autre arrosée. Mais le drame
est que cette dernière saison est marquée, notamment à l'intérieur
du pays, par des températures froides qui limitent la croissance des
végétaux alors que les sols sont gorgés d'eau. Aussi, toute
l'ingéniosité serait de trouver des cultures qui présentent une
croissance même aux basses températures. Or, dans le cas des
fourrages, ces cultures existent ; il s'agit du colza fourrager
intéressant pour le pâturage. Ce fourrage peut être implanté dès
la fin août à condition de disposer d'irrigation d'appoint ;
les pluies automnales prenant ensuite le relais. Mais ce fourrage est
totalement inconnu localement. A ce titre, cette opportunité peut
être considérée comme le premier échec de la campagne
« labour-semis ».
Le
troisième échec de cette campagne concerne les légumes secs et les
oléagineux (principalement le tournesol). Traditionnellement leur
semis se fait en mars. Or, des travaux marocains montrent qu'on a
tout intérêt à des semis de janvier à conditions d'adapter les
variétés et de maîtriser le désherbage chimique ou mécanique
(bineuse, herse étrille). Il s'agit d'une stratégie
« d'évitement » : les semis sont avancés afin
d'éviter d'éventuelles sécheresses printanières.
Encadré 1
: Le semis précoce du tournesol: premier facteur de production
Des
chercheurs marocains (2) notent : « La date de semis
détermine la période de floraison-maturité du tournesol, phase
sensible à la sécheresse. Le semis précoce, qui
permet d'éviter les déficits hydriques intenses et les hautes
températures durant la phase reproductrice, est une voie
efficace pour concrétiser le potentiel de la culture ». Ils
obtiennent en effet, les résultats suivants :
Rendement
(qx/ha) moyens sur trois ans selon la date de semis
Zone
|
Gharb
|
Sais
|
Décembre
|
26
|
20
|
Janvier
|
26
|
22
|
Février
|
25
|
20
|
Mars
|
18
|
15
|
Avril
|
13
|
11
|
Encadré
2 : LE POIS·CHICHE D'HIVER
Selon le
coordinateur du Programme Légumineuses et Chef du Centre Régional
de la Recherche Agronomique de Doukkala, Abda et Chaouia de Settat
(Maroc) (3), « Le rendement potentiel en années normales est
près de 20 qx/ha pour le pois-chiche d'Hiver comparé à 6 qx/ha
pour le pois-chiche de printemps; soit un gain relatif de 210%. Le
gain en précocité est de 25 à 45 jours selon les dates de semis et
les variétés ».
GABGIE
DES SERVICES AGRICOLES ALGERIENS
Concernant
les résultats relatifs au semis-direct des céréales, ceux-ci sont
connus des services agricoles algériens puisque le Pr M'rabet a même
été invité il y a quelques années à Sétif afin de présider un
séminaire international pour notamment présenter ses travaux. Dans
la mesure où après (2016 – 2001) 15 ans, ce genre de résultats
n'est pas pris en considération par les services agricoles locaux,
on ne peut que parler de gabegie technique. L'effort financier fournis
par les pouvoirs publics à l'institution agricole n'aboutit pas.
Cette institution est défaillante.
Il s'agit
dans les plus brefs délais d'en rechercher les causes. Précisons
tout de suite qu'il ne s'agit pas d'accuser tel ou tel individu ou
administration, mais de revoir le fonctionnement de la filière
céréales marquée par la lourdeur administrative et le
« centralisme administratif » selon l'expression de
l'agro-économiste Slimane Bedrani.
L'urgence
de l'heure est de tirer les leçons de cette sécheresse automnale
car les conséquences peuvent être dramatiques et cette sécheresse
ne peut que se reproduire à l'avenir au vu du réchauffement
climatique.
Concernant
la fin de la campagne labour-semis, la presse nationale fait état de
délais courant jusqu'au 15 janvier. Les pluies de ce début janvier
sont jugées comme pouvant sauver la campagne céréalière. Certes,
avec les pluies actuelles, les semis vont pouvoir être terminés et
les plants qui avaient levé vont pouvoir poursuivre leur croissance.
Mais tout agronome et tout fellah honnête le confirmera, un bon
rendement en blé ne peut être obtenu qu'avec un semis automnal et
non pas hivernal. Un semis ne doit pas dépasser la mi-novembre. Car
plus la plante se développe tôt, plus ses racines ont le temps de
s'enfoncer dans le sol à la recherche d'humidité qui sera cruciale
à la fin du printemps.
Certes,
le manque de pluie peut provoquer des retards de semis, mais ces
retards sont également dus à notre désorganisation et nos façons
de faire actuelles. Façons qui sont dépassées techniquement. Et
avant d'affirmer que l'irrigation pourra remédier à la sécheresse
actuelle, il faut cerner nos dysfonctionnements. Or, et en la
matière, ils sont nombreux et graves. Par ailleurs, l'irrigation ne
peut être le remède à tous les maux. Les ressources hydriques sont
en effet limitées par le besoin en adduction d'eau potable des
villes, l'envasement des barrages et la baisse inquiétante du niveau
de nombreuses nappes phréatiques.
GABGIE DU
GROUPE PMAT
La
conduite conventionnelle d'implantation des céréales comporte un
labour et des pasages de cover-crop. Cette façon de faire est longue
et coûteuse en carburant. Les résultats agronomiques montrent qu'en
zone semi-aride, la technique du semis direct est préférable. Elle
assure des rendements réguliers, non seulement, en cas de sécheresse
automnale mais également en cas de sécheresse printanière. C'est
si vrai que, suite à ce type d'observations, le centre de recherche
d'Alep avait, avant la guerre civile, vivement encouragé cette
pratique. Les céréaliers syriens l'avait adopté sur plus de 60 000
hectares alors que nous n'en sommes qu'à 6 000 hectares en Algérie.
Avant guerre, la Syrie était ainsi devenue exportatrice de céréales.
Cette technique est tellement intéressante que suite aux essais
réalisés à Settat, nos voisins Marocains ont décidé de
construire des semoirs pour semis direct comme d'ailleurs l'avaient
fait également des ingénieurs syriens et experts internationaux
alors en poste, à l'époque, à Alep. Un exemplaire de ce type de
semoir syrien, le modèle Aschbel, est présent dans une station
agronomique de l'ITGC à Sétif.
Avons
nous cherché, à partir de ce modèle, à fabriquer un engin
identique adapté aux conditions de l'Algérie? Après tout
l'Algérie était partie prenante de ce centre international d'Alep
comme d'ailleurs divers pays méditerranéens. Nos industriels
auraient donc le droit de copier ce modèle. A notre connaissance,
rien n'est prévu. Le groupe PMAT continue de fabriquer des charrues,
les mêmes que celles qui déssèchent le sol en moins d'une journée.
Mieux, un accord a même été signé avec une firme portugaise, la
société Galucho pour fabriquer encore plus de charrues et de
cover-crop. Et les semoirs pour semis direct pourrait-on demander ?
Pour ce type de matériel, rien n'a été prévu. Apparement le
groupe PMAT ne connait pas ce genre d'engins qui pourtant permet de
laisser un sol humide 25 jours après une pluie.
A notre
avis, le sujet est si crucial qu'afin de mettre au point les premiers
engins made in DZ, le dossier devrait être pris en charge par la
Base Centrale Logistique de l'ANP-Blida et un consortium
d'investisseurs privés. En effet, concernant la sécurité du pays,
disposer d'une centaine de ce type de semoirs serait l'équivalent
d'une division blindée.
DES
CRITIQUES A NUANCER
On ne
peut être qu'attristé devant le manque de clairvoyance des
Décideurs de la filière céréales. Jusqu'à aujourd'hui, ils n'ont
pas su opérer un revirement stratégique pour adopter ces nouvelles
techniques permettant de limiter les effets des épisodes de
sécheresse et utiliser la technique de l'évitement. Dans un pays
sec comme l'Australie cette technique est aujourd'hui adoptée par la
majorité des céréaliers comme d'ailleurs de plus en plus en
Espagne.
Certes,
tout n'est pas négatif en Algérie. Des instituts tel l'ITGC et
l'INRA travaillent sur cette technique et tentent de la faire
connaître à des fellahs qui ne jurent que par le traditionnel
labour « miyali ». Mais l'effort actuellement fournis par
une poignée de cadres aurait dû être démultiplié. Plus de moyens
devrait leur être fournis. Le réchauffement climatique est une
réalité depuis plus de dix ans. Les sécheresses printanières et
automnales seront de plus en plus fréquentes. Nous devons en tenir
compte. Ces dix dernières années, les Décideurs qui se sont
succèdes au niveau du MADR n'en ont pas pris conscience.
Aussi, le
rapport du Pr Rachid M'rabet, cité plus haut, devrait être sur la
table de chevet de tous les responsables du MADR, et du groupe PMAT.
Car la technique de l'implantation économe en eau des cultures ne
concerne pas seulement les céréales mais également les fourrages
et les légumes secs (et demain les oléagineux). Si de petits
fellahs peuvent être encore dans l'ignorance de ces nouvelles
techniques, cela est impardonnable pour toute personne détenant la
moindre parcelle de responsabilité. A ce titre, développer cette
nouvelle technique constitue actuellement la « mère des
batailles ». Certaines grosses exploitations privées
algériennes l'ont d'ailleurs compris et se sont vite équipées en
ce type de semoir. Le même phénomène est visible en Tunisie et au
Maroc.
Or,
actuellement quelle est la réponse des décideurs agricoles
algériens face au risque climatique? Ils n'ont à la bouche que le
mot « irrigation ». Certes, il y a des situations où il
faudra irriguer, mais la moindre des choses serait d'abord
d'implanter les cultures avec des techniques qui économisent le peu
d'humidité de nos sols.
A leur
décharge, les services concernés ont pris ces dernières années
d'importantes mesures afin d'aider la filière céréalière:
crédits bancaires, installation de kit d'irrigation, développement
de semences certifiées, équipement en moissonneuses-batteuses, …
Cependant, le réchauffement climatique nous impose de nous tourner
vers des méthodes qui revisitent l'ancien « dry-farming »
des colons européens. A l'heure actuelle, le labour reste un
paradigme qu'il s'agit de remettre en cause pour sa nocivité.
Ce
réchauffement climatique nous imposera également des choix
énergiques. La filière céréales DZ ne peut plus fonctionner
comme au temps d'un baril au dessus de 100 dollars le baril.
Récemment Mr le Ministre de l'Agriculture s'interrogeait sur le
travail des 400 ingénieurs agronomes en poste à l'OAIC. Partout, en
Algérie, l'heure des questions douloureuses est venue. Le Président
Bouteflika a récemment demandé à ce que la réalité de la
situation économique du pays ne soit pas cachée à l'opinion
publique. Il y a aujourd'hui obligation de résultats ; non pas
que de premiers résultats n'aient pas obtenus. Ces dernières
années, la production nationale de céréales a réellement
augmenté. Cependant avec 38 000 000 d'Algériens à nourrir et un
baril de pétrole à 30 €, on ne peut plus se permettre des loupés
techniques même si, en Algérie, les conditions climatiques ne sont
pas idéales pour produire des céréales.
Mais, ne
pas être à la hauteur des exigences de l'heure n'apportera à terme
que sang et larmes...
Notes :
1- LE
SEMIS DIRECT : POTENTIEL ET LIMITES POUR UNE AGRICULTURE DURABLE EN
AFRIQUE DU NORD. Dr. Rachid Mrabet, Maître de Recherche à l
’Institut National de la Recherche Agronomique, Centre
Aridoculture, BP 589 Settat 26000, Maroc. Tél : 212 (0) 61 43 07 68,
Fax : 212 (0) 23 40 32 09, Email : mrabet_rachid@hotmail.com
2-
INRA-CETIO-ASPOT. BTT n°44. © 1998, Bulletin réalisé à
l'Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Responsable de
l'édition: Prof. Ahmed Bamouh. Programme National de Transfert de
Technologie en Agriculture (PNTTA). B.P:6446-Instituts, Rabat, Maroc.
Tél-Fax:(212) 37-77-80-63
3-
http://www.anafide.org/doc/HTE%2071/71-7.pdf
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