vendredi 15 janvier 2016

AUTO-SUFFISANCE ALIMENTAIRE, Y ARRIVERA-T-ON TOUT SEUL ?

AUTO-SUFFISANCE ALIMENTAIRE, Y ARRIVERA-T-ON TOUT SEULS ?
Djamel BELAID 15.01.2016 djamel.belaid@ac-amiens.fr

En Algérie, les importations alimentaires augmentent d'années en années. Face à cela les pouvoirs publics et les services agricoles déploient des efforts considérables. Ces efforts visent à réunir les meilleures conditions de travail pour les exploitations agricoles. Cette politique donne ses premiers fruits. Mais l'urgence de la situation fait que ces progrès ne suffisent pas. Faut-il alors recourir à plus de coopération étrangère et dans ce cas là comment ?

DES PROGRES MADE IN DZ SANS AIDE ETRANGERE
L'agriculture locale peut se targuer de belles réussites. C'est le cas par exemple du développement de la culture de pomme de terre et de légumes sous serres dans le Sud. C'est le cas encore à Constantine pour la conservation des fourrages. Lounes Hamitouche, le dynamique PDG de la Laiterie Soummam a mis sur pied dans cette région une entreprise de travaux agricoles pour la récolte et la conservation des fourrages par enrubannage. C'est également le cas avec la société ACI qui en Mitidja avec la technique de la plantation des agrumes à haute densité révolutionne ce secteur. De gros progrès sont également réalisés dans le domaine du stockage des excédents de pomme de terre ou de la production de raisin de table.
Ces progrès sont possibles grâce aux efforts financiers des pouvoirs publics, à l'encouragement de l'initiative privée et à une politique de formation qui aujourd'hui permet au secteur agricole de disposer d'un grand nombre de cadres capables d'acquérir de nouvelles compétences au contact de techniques étrangères. Certes, ces progrès ne se font pas sans technologie étrangère. Ainsi dans le cas des serres canariennes de la région de Biskra ce sont des ouvriers marocains qui ont contribué à vulgariser cette technique. Mais, à chaque fois il s'agit là de réussites d'investisseurs locaux.
Cependant, répétons le ces progrès sont trop lents au vu de la demande locale. Rappelons également que la campagne céréalière 2015 peut être qualifiée de moyenne et que la campagne 2016 a démarré dans un contexte de sécheresse automnale. Si les progrès sont lents il apparaît qu'ils peuvent également être irréguliers. Dans un contexte de réduction de l'aisance financière liée à la rente pétrolière, cette situation n'est plus tenable pour le budget de l'Etat.

CE QUE NOUS NE SAVONS PAS FAIRE
Ces quelques réussites ne doivent pas nous faire oublier ce que nous ne savons pas faire dans le domaine agricole.
Nous ne savons pas diffuser de nouvelles techniques ni de nouvelles cultures. Ainsi, la protection phytosanitaire des céréales est bien en dessous de ce qu'elle devrait être. De ce fait les mauvaises herbes réduisent les rendements de même que les maladies fongiques telle la rouille. Nous ne savons pas apporter de façon adéquate la dose adéquate d'engrais au moment voulu et à l'endroit voulu.
Quant aux cultures nous ne savons pas produire plus de fourrages ni des oléagineux tels le colza ou le tournesol.

Enfin, concernant le management, il n'y a pas encore en Algérie de gestion efficace des structures agricoles : Chambre d'Agriculture, coopératives paysannes, structure de conseil agricole, instituts techniques ou CCLS. Or cela est fondamental car la mise en place de nouvelles techniques repose sur des structures professionnelles performantes et donc représentatives.

PROGRES DZ ET UN CHOUIA DE COOPERATION
Jusqu'à présent de nombreux projets de coopération agricole ont été signés avec des partenaires étrangers.
C'est le cas dans les années 70-80 entre l'ITGC et des partenaires français pour dynamiser les productions végétales et animales dans la région de Tiaret (Sersou). Plus récemment l'ONG française FERT a contribué à un suivi de la production laitière en Mitidja. Dans le même ordre d'idées le projet Alban a permis à des techniciens laitiers français de mettre sur pied des groupes appui lait au niveau de la wilaya de Souk Ahras. Des accords ont été signés avec des partenaires hongrois ou coréens pour le domaine avicole ou de la semence de pomme de terre.
Il s'agirait de faire le bilan de cette coopération. Dans le cas des organismes dépendant du MADR, ces accords ont consisté en un accompagnement des agriculteurs ou structures locales.
Ce type de coopération est fondamental. Il permet un transfert de technologie. Cependant, les résultats sont parfois lent car sous la dépendance de l'environnement local.
Les blocages pour arriver à une augmentation de la production agricole sont variés : juridique (foncier), financier (prêts), techniques et humains. Du point de vue humain l'apport étranger peut être considérable. Cet apport pourrait venir de chefs de cultures étrangers qui n'auraient pas pour mission première de conseiller des homologues locaux mais de mettre en application leur savoir dans les conditions algériennes. Pourquoi ne pas imaginer des exploitations où de tels chefs de culture viendraient avec leur propre matériel agricole produire localement.

Notre interrogation porte donc sur un type de coopération qui permettrait de s'affranchir des lourdeurs locales. Il nous semble que cela est possible dans le cas de structures telles des fermes pilotes ou des concessions agricoles.
FERMES PILOTES DZ, MAIS AGRI-MANAGER ETRANGER
Le cas des fermes pilotes est particulier. Il s'agit de grandes exploitations d'un seul tenant sur de bonnes terres avec le plus souvent une pluviométrie abondante. Il s'agit de propriétés de l'Etat. Il est donc possible de signer rapidement des accords permettant la mise en place d'une expertise professionnelle étrangère dès les campagnes agricoles suivantes.
De tels accords pourraient déboucher sur la fourniture sur le marché local de volumes conséquents de produits agricoles. En effet, si le déficit hydrique structurel d'une grande partie du territoire constitue une réelle difficulté, il existe cependant des techniques d'arido-culture que maîtrisent parfaitement chefs de culture espagnols, italiens français ou australiens. Il s'agit de considérer la proximité culturelle et géographique (Espagnols à l'Ouest, Italiens à l'Est) et la possibilité d'une coopération inter-maghrébine. A ce propos, chez nos voisins immédiats existent des contremaîtres et des ouvriers spécialisés recherchés par les investisseurs locaux pour leur savoir faire. Or, l'actuelle politique de contrats de travail et de permis de séjour est très restrictive pour la main d'oeuvre spécialisée étrangère.

L'OPTION SIM
Parmi les grands groupes agro-alimentaires privés nationaux SIM se distingue par l'établissement d'alliances avec des groupes étrangers. C'est notamment le cas avec la filière Sanders du groupe coopératif français AVRIL. Cette stratégie a abouti à la création d'une première unité d'aliments pour bétail. SIM comme d'ailleurs CEVITAL ont plusieurs fois manifesté leur volonté de pouvoir disposer de moyens afin de produire eux même une partie de leur approvisionnement en matières premières ; respectivement céréales et graines d'oléagineux.
A côté de ces groupe à capitaux essentiellement nationaux, il faut noter la présence de capitaux en provenance du moyen orient et qui sont investis par exemple dans le secteur de la production de matières grasses alimentaires.
Ces entreprises qui aujourd'hui assurent l'approvisionnement d'un grand nombre de consommateurs ont le besoin de sécuriser leurs approvisionnements en matière première. Si de tels groupes peuvent espérer un meilleur accès aux marché international des céréales et des oléagineux, ils ne sont pas à l'abri de crises conjoncturelles : mauvaises récoltes en Europe ou en Amérique). Par ailleurs, le développement des agro-carburants entraîne une hausse progressive de certains de leurs approvisionnements.
Dans ce contexte, il serait tout a fait indiqué de favoriser l'intégration en amont de ces grands groupes agro-alimentaires. Cet objectif pourrait passer par une politique de concessions agricoles mais également par une orientation publique de ces groupes vers une politique de contractualisation. Au lieu que ce soit des services agricoles publics qui assurent un appui technique parfois défaillant aux producteurs, dans leur bassin d'approvisionnement, cet appui pourrait être le fait de structures dépendant des firmes agro-alimentaires locales. C'est déjà le cas du Groupe Benamor dans le cas de la tomate industrielle et du blé dur (réseau qualité blé). Dans ces conditions, ces groupes auraient alors tout intérêt à s'entourer des meilleurs compétences qu'elles soient locales ou étrangères. Ce type d'approche est réalisé dans le domaine laitier. Afin de sécuriser leur approvisionnement en lait frais, certaines laiteries dont Danone Djurdjura investissent en amont.

Par ailleurs, les groupes agro-alimentaires locaux à capitaux étrangers peuvent bénéficier du savoir faire de leur partenaire étranger ou de leurs filiales maghrébines comme dans le cas des relations à trois entre Danone (France) – Sotubi (Tunisie) – Lu (Algérie) pour les biscuits ou Lesieur (France) – Cristal (Maroc) – Lesieur Cristal (Tunisie) pour les huiles végétales.
Dans le cas d'accords avec de grands groupes coopératifs, les partenaires algériens pourraient disposer de l'expérience de réseau d'appui technique confirmé. Les structures étrangères viendraient ainsi compenser l'inexistence de réseaux locaux d'apui technique efficaces.

CE QU'IL NE FAUDRAIT PAS FAIRE
La presse nationale a souvent évoqué la possibilité de réaliser des accords avec des pays étrangers ou des firmes étrangères pour par exemple l'installation de grandes fermes laitières dans le grand Sud algérien. On peut se demander comment la production laitière qui n'a pas pu être réalisée dans les conditions climatiques favorables du Nord du pays pourrait l'être dans les conditions arides du désert.
Ces projets tablent tous sur l'exploitation des ressources hydriques du sous sol. Ces ressources étant chargées en sel et n'étant pas renouvelables, on peut se demander quelle est la durabilité de ce type de projets.

Une autre erreur serait de développer des coopérations dans le seul but d'augmenter l'exportation à l'état brut ou transformé de certains produits agricoles: dattes, pomme de terre primeur, pâtes alimentaires. En effet, le milieu naturel local est fragile. Il est menacé par l'érosion hydraulique, l'érosion éolienne et la salinisation. Par ailleurs, la mobilisation des ressources hydriques de surface nécessite des moyens financiers important au moment où la demande en eau potable des villes ne fait qu'augmenter. Dans ces conditions, espérer faire de l'Algérie un pays exportateur de produits agricoles est une chimère.


BRADER LE PAYS ?
Dans le processus de démocratisation que connait le pays, on peut imaginer les critiques de l'opposition vis à vis d'une telle démarche. Certains parleront sans doute de « retour des colons ». A cela, il s'agit de répondre et d'expliquer qu'il s'agit d'arriver à des accords gagnant-gagnant. Cela nécessite de négocier finement car les investisseurs étrangers n'investiront que si le rendement des fonds qu'ils engagent leur est profitable.
Aussi, de tels accords devraient  être limités dans le temps (5 ou dix ans renouvelables). Ils devraient assurer une exploitation durable du sol et des ressources locales en eau, permettre un transfert de technologie et bénéficier au marché local tout en interdisant l'export des produits agricoles.

Du point de vue pratique, l'investisseur étranger devrait disposer de la possibilité de ramener en Algérie, dans des conteneurs, et sans aucun droit de douane, son matériel agricole neuf ou d'occasion. Il devrait également lui être accordé la possibilité d'importation de toute pièce détachée, de tout engrais ou facteur de croissance (inexistant sur place) ou de tout produit phytosanitaire (autorisé par la législation locale) mais sans possibilité d'exporter les productions.

Ces exploitations devraient avoir également la possibilité de faire venir de la main d'oeuvre étrangère spécialisée. Elles devraient donc pouvoir bénéficier d'accords de droits de séjour facilités.

Outre la possibilité de produire, de telles exploitations pourraient avoir le droit de transformer leur production (1ère ou 2ème transformation) et de vendre localement farine, semoule, pâtes, couscous, pain, huile, tourteaux … etc. La rentabilité de ces exploitations seraient ainsi améliorée. Une telle attractivité pourrait amener plus d'investisseurs potentiels mais également permettre à la partie algérienne que les contreparties demandées soient plus larges (emplois, impôts, transfert de technologie, …).

Par ailleurs un état des lieux devrait être établi avant tout signature de contrat. Cet état des lieux devant comporter notamment analyse sol avec notamment analyse du taux de matière organique du sol, niveau de la nappe phréatique.
Le contrat devrait également comporter des mesures favorisant l'agriculture de conservation. Il devrait y avoir interdiction labour avec obligation de semis direct et de restitutions organiques au sol. L'irrigation par submersion devrait être interdite et toute irrigation ne devrait être faite qu'au goutte à goutte ou par pivot (avec utilisation de sondes tensiométriques).

Concernant les aménagements il devrait être possible par exemple d'engager des travaux afin de limiter le ruissellement des eaux de pluies, favoriser l'épandage des crues, de réaliser des forages mais en nombre et débit contrôlé (présence de compteurs à eau). Les services concernés tels ceux de l'hydraulique devraient être chargés d'établir des contrats type.


CONCLUSION
L'analyse des chiffres relatifs aux importations alimentaires a de quoi donner le vertige. L'accroissement actuel de la production agricole locale n'arrive pas à suivre les besoins toujours plus croissants en quantité et en qualité des consommateurs algériens.
Face à cette situation, le secteur dispose d'atouts : le recours à plus de coopération étrangère. En effet, les potentialités du secteur agricole restent sous-exploitées. Si les compétences locales sont nombreuses et en plein développement avec parfois des innovations originales, elles restent limitées.
Des coopérations avec des institutions étrangères permettent de bénéficier du savoir faire de techniciens confirmés. Ce type de projets avec, par exemple, la mise sur pied de réseaux d'appui technique à des éleveurs laitiers comme dans le projet Alban, s'avèrent positives et à poursuivre. En effet, l'Agriculture algérienne occupe un million de familles paysannes et à ce titre, outre la production agricole, son rôle est d'assurer un revenu à ce qui représente 11% de la population locale. Il s'agit ainsi de réunir les conditions d'un développement des petites exploitations (formation, auto-encadrement par des associations professionnelles agricoles, développement de coopératives paysannes, maturation des filières...).

Cependant, les progrès ainsi obtenus sont lents. Par ailleurs, trop longtemps en Algérie, le développement agricole a été considéré comme pouvant être impulsé par de seules structures à caractère administrative (DSA, Instituts techniques, office tel l'OAIC). Depuis plusieurs années à ces structures se sont ajoutées des structures privées (transformateurs et vendeurs de matériel et d'intrants agricoles).

Aussi, face à l'urgence du moment, il pourrait être fait recours à plus de coopération étrangère sous la forme d'une prise en charge pour des périodes de 5 à 10 ans de certaines fermes pilote ou de grandes concessions agricoles. Leur gestion au jour le jour pourrait être confiée à des techniciens étrangers rompus aux techniques durables de l'arido-culture et disposant de facilités d'importation de matériel agricole.

Une autre forme pourrait consister à mobiliser cette expertise étrangère par le biais de grands groupes agro-alimentaires locaux investissant dans l'amont par le biais de concessions agricoles ou d'une politique active de contractualisation que les pouvoirs publiques pourraient fortement encourager. Selon les productions et les partenariats, différentes formes de coopération de terrain seraient alors possibles.

De grands groupes agro-industriels locaux ont choisi de développer des alliances stratégiques avec des partenaires étrangers : grand groupe coopératif dans le cas de l'accord SIM-Sanders ou PME dans le cas d'une boulangerie industrielle dans le cas de Groupe Benamor-Mecatherm. On note un seul absent : les pouvoirs publics. Ces derniers brillent par l'absence d'un stratégie claire. Ainsi le projet de Cevital de relance de la production locale d'oléagineux reste en stand-by.


Dans tous les cas, l'urgence ne doit pas faire oublier le caractère fragile du milieu naturel local (méditerranéen, semi-aride et aride) et la nécessité d'une exploitation durable des ressources en terres agricoles et en eau de ce milieu.


1 commentaire:

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