CEREALES
APRES LA
SECHERESSE SURVEILLER L'AZOTE DU SOL
Djamel
BELAID djamel.belaid@ac-amiens.fr
22.01.2016
La menace
a été sérieuse. Une sécheresse automnale persistante a marqué
les semis de céréales de ce début de campagne. L'origine de ce
manque d'eau est certes céleste. Cependant, des dysfonctionnements
techniques et humains sont à relever1.
Il serait bon d'en tirer les conclusions. Le retour de la pluie a
permis de sauver la prochaine récolte, mais des effets sur le
potentiel de récolte attendu sont à craindre. Et de façon
étonnante ces effets ne seront pas là où on pourrait le craindre.
A ce titre les services agricoles ont un deuxième défi à relever.
REALISER
EN EXTREME URGENCE DES ANALYSES DE RELIQUATS AZOTES
Depuis
quelques années, la pratique des analyses de sol se développent en
Algérie. De nombreux laboratoires concourent à la réalisation de
ces analyses de sols. C'est le cas de celui de Fertial. L'agriculteur
peut savoir ainsi le niveau d'éléments minéaux présents dans le
sol et donc estimer le niveau d'engrais qu'il doit apporter. Ces
analyses sont faites en moyenne tous les 4 à 5 ans dans les
exploitations performantes. Cet intervalle de temps entre deux
analyses est celui que préconisent les spécialistes pour les
principaux éléments minéraux : potasse, phosphore et
oligo-éléments. Mais concernant l'azote, les préconisations
agronomiques sont de réaliser des analyses chaque année. Oui, vous
avez bien lu : chaque année.
AZOTE DU
SOL, SEUL ELEMENT ISSU D'UN CYCLE BIOGEOCHIMIQUE
C'est que
contrairement aux autres macro-éléments (phosphore et azote)
l'azote minéral du sol provient essentiellement de la décomposition
de la matière organique du sol. Dans le cas d'un blé par exemple,
ce sont essentiellement la décomposition des pailles, chaumes,
racines ou amendements organiques qui peuvent apporter de l'azote
minéral aux racines de la culture suivante. En effet, les résidus
de récolte et ces amendements sont riches en azote. Cependant, cet
azote est sous forme organique. Or, les racines ne peuvent l'absorber
que sous forme minérale : ammoniacale et nitrates. Ce sont des
bactéries naturellement présentes dans le sol qui permettent cette
transformation.
Mais ces
bactéries ne sont actives qu'en présence d'un minimum d'humidité.
Par ailleurs, elles sont capricieuses dans la mesure où elles ne
sont pleinement actives qu'à des températures situées au delà de
6-7 degrès. Autant dire que la minéralisation en Algérie n'est
active que lors des automnes et printemps humides.
Si on
considère la pluviométrie de l'automne dernier, la faiblesse des
pluies voire leur inexistance fait que dans certaines régions
d'Algérie, on peut affirmer en première analyse, que la
minéralisation de l'azote organique du sol n'a pas eu lieu.
Conséquences, cet hiver 2016 les premiers horizons du sol sont plus
pauvres qu'à l'accoutumée en azote minéral. Cette analyse est à
moduler selon les précipitations automnales de chaque région.
EN 2016
SUR BLE, MAJORER LES DOSES D'AZOTE
D'une
expérience de conseil auprès de gros céréaliers-betteravier dans
le bassin parisien, nous avons retenu qu'on bon conseiller est celui
qui se mouille, celui qui, entre différentes options, en choisit
une. Aussi, mouillons nous ! Il nous semble qu'en Algérie,
dans les conditions climatiques de cet automne, les reliquats azotés
en sortie hiver sont faibles. Notre préconisations est donc de
majorer les doses d'engrais azotés à apporter. Bien sûr l'idéal
est de les fractionner. Les travaux de l'ITGC montrent, en effet que
plus les apports d'azote sont fractionnés, meilleurs sont les
rendements et le taux de protéines des grains de blé.
Cette
faiblesse des reliquats azotés en cet hiver 2016 est une tendance
forte. Ce constat est renforcé par les observations de ces derniers
jours : des pluies abondantes et parfois de la neige. En effet,
si les pluies d'automne sont intéressantes pour la minéralisation
de la matière organique du sol, celles de l'hiver ne le sont guère
pour l'alimentation azotée des plantes. Ces pluies ont tendance à
lessiver une partie de l'azote minéral du sol. Les ions nitrates ne
sont pas retenus par le sol ; de ce fait, ils ont tendance à
migrer dans le sol hors d'atteinte des racines de la plante. Cela
est d'autant plus vrai que les retards de semis de cette année ont
eu pour conséquence un faible développement racinaire.
BLE DUR,
QUEL NIVEAU DE FERTILISATION AZOTEE VISER
Le blé
dur est une culture exigeante qui demande une réelle technicité de
la part des céréaliers ; outre un objectif de rendement
maximal, il leur faut viser un bon taux de protéines. En effet, le
manque d'azote donne un grain farineux au lieu de la belle
transparence si particulière du grain de blé dur. On dit que le
grain est mitadiné. Or, qui dit mitadinage, dit faible rendement en
semoule et mauvaise qualité des pâtes alimentaires. Choses
rédhibitoires pour l'industrie de la semoule.
Mais
revenons au rendement. Afin que les pieds de blé dur produisent le
maximum d'épis et donc de grains-industriels de semoulerie, message
plus d'azote, il s'agit qu'ils disposent d'azote au printemps. Toute
carence d'azote ne permettra pas d'arriver au maximum de grains par
mètre carré. Il y a déjà eu des années où l'humidité du sol et
la pluviométrie locale était là, alors que le niveau d'azote
apporté au sol par l'agriculteur ne soit pas au rendez vous. Dans
ces cas là, ce sont des quintaux de grains qui sont perdus à
jamais. En effet, de nombreux céréaliers n'apportent pas d'engrais
azotés ou au mieux en apportent selon les prescriptions des services
agricoles : 100 unités par hectare. Ce niveau est fixé
arbitrairement suite à des essais en station sans analyses de
reliquats azotés. Seule la réponse de la plante étant observée
pour des doses croissantes d'engrais azotés.
A
contrario, apporter 100 unités d'azote les années où les pluies
automnales ont permis une bonne minéralisation et les pluies
hivernales ont permis un faible lessivage, est aberrant. En effet, le
sol est alors bien pourvu en azote et selon le rendement visé, les
apports en engrais ne devraient être que de 50 unités d'azote.
Or, nous
avons vu que le niveau d'azote du sol est un paramètre qui fluctue
d'une année sur l'autre du fait des phénomènes de minéralisation
et de lessivage. Actuellement les services agricoles sont dans une
démarche qui pour un automobiliste consisterait à remplir chaque
semaine son réservoir d'essence sans tenir compte du nombre de
kilomètres hebdomadaires parcourus.
AZOTE,
TIRER LA SONNETTE D'ALARME
On le
voit donc, en Algérie, la situation en matière de fertilisation
azotée des céréales est ubuesque. De nombreux agriculteurs sont
excédés par les préconisations des techniciens : certaines
années, l'azote apporté ne permet pas de bons rendements alors que
la pluviométire est bonne. D'autres années, la même dose d'engrais
grille littéralement les cultures. Cela pourrait préter à rire si
la situation n'était pas si grave.
Il y a
donc lieu de réaliser des annalyses de reliquats azotés en sortie
hiver avant l'apport d'azote. Comme il serait difficile de
généraliser ce genre d'analyse, il s'agit d'arriver à une
mutualisation des moyens. Ainsi, sur une même petite région, les
analyses devraient permettre de tirer des tendances afin d'informer
par internet ou courrier les techniciens de terrain et les
agriculteurs. Cela, au même titre que les avertissements agricoles
qui permettent d'avertir les agriculteurs lors de l'arrivée
d'insectes ravageurs des cultures.
Premiers
concernés pour des raisons de qualité, les industriels de
semoulerie, devraient s'occuper de la diffusion de ce type de
message. Dans le cas de cette année, c'est à eux de prendre les
devant et d'alerter les fellahs ; au moins ceux de leurs réseaux
qualité. Car, ils risquent de se retrouver dès la récolte de cette
année avec des blés durs de moindre qualité semoulière.
CEREALES
EN ALGERIE, « ON MARCHE SUR LA TETE »
Mais qui
se charge du volet quantitatif de la chose ? Qui en Agérie se
préoccupe de donner plus d'azote au blé afin que chaque pied
produise le maximum de grains ? Le fellah ? L'agri-manager,
ces agriculteurs modernes instruits et à la tête de grandes ou
moyennes exploitations ? L'information ne peut venir à eux car
même les techniciens des services agricoles ne sont pas habitués à
ce genre d'analyses pourtant simples.
Le
technicien de la CCLS ? Outre qu'il n'a pas cette information,
son salaire n'est pas indexé sur les quantités d'engrais azotés
vendus ou les quantités de grains collectés dans les silos.
Pourquoi voudriez vous qu'il aille courir derrière les fellahs pour
les prévenir du danger actuel ?
En
Algérie, il n'y a personne pour se préoccuper du niveau précis des
doses d'azote à apporter ; ou bien si : une poignée de
personnes aux moyens limités. Or, cela concerne des centaines de
milliers d'hectares de blé ; l'aliment de base de la
population.
A ce
titre, et vu le niveau de gabegie technique, on peut dire qu'en
Algérie, concernant la fertilisation azotée, « on marche sur
la tête ». Le ministre de l'agriculture se demandait récemment
si les 400 ingénieurs en poste à l'OAIC étaient bien utilisés. La
question est posée. Pourquoi certains ne seraient-ils pas détachés
de leurs tâches administratives pour se consacrer par exemple
annuellement et durant deux semaines à l'estimation des reliquats
azotés dans leur bassin de collecte ? Actuellement certains
fellahs sont dégoutés des engrais azotés : « l'engri
yahrag el gamh » disent-ils (l'engrais grille le blé ).
Pourquoi cette
inefficacité? Car à notre avis, l'OAIC est un organismme dont le
statut du personnel est dépassé. Et toute l'énergie de ses cadres
dirigeants et du personnel n'y peut rien. Le salaire de l'ingénieur
et du technicien devrait être indexé sur le niveau d'intrants
vendus (engrais, produits phytosanitaires, …) de même que le chef
de silo et son équipe devraient être rémunèrès en fonction des
quintaux de céréales qu'ils font rentrer dans les silos. A
l'étranger et en France, dans les coopératives céréalières,
c'est ainsi que cela fonctionne. Il ne s'agit pas d'affubler le sigle
« CCLS » du « C » de « Coopérative »
pour qu'elle en soit une. Une coopérative possède des statuts
spécifiques, sinon ce n'est qu'une antenne d'un office public et
rien d'autres.
En l'état
des choses, c'est aux industriels de la meunerie et de la semoulerie
de se saisir du dossier. A eux également de se doter de moyens
d'analyse rapide du taux de protéines à et de demander aux
autorités à pouvoir réceptionner les grains aux portes de leurs
silos. A eux également de demander la révision des barêmes de
raréfaction. Ils datent de 1988 et qui ne sont plus adaptés aux
exigences actuelles de qualité de la collecte des céréales.
Mais aux
céréaliers également de trouver la force de s'organiser en groupe
d'achats d'engrais et de produits phytosanitaires. Seuls de tels
groupements peuvent permettre à terme de se doter de leurs propres
techniciens. Techniciens qui auront alors obligation de résultats...
A défaut
de structures de collecte des céréales réellement efficaces et de
groupements d'achats paysans, concernant l'utilisation des engrais
azotée sur céréales, nous continuerons à « marcher sur la
tête ».
1Voir
nos précédents articles sur la question (le non labour peut
permettre d'amoindrir les effets des sécheresses automnales).
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