samedi 23 janvier 2016

CEREALES, APRES LA SECHERESSE SURVEILLER L'AZOTE DU SOL

CEREALES
APRES LA SECHERESSE SURVEILLER L'AZOTE DU SOL
Djamel BELAID djamel.belaid@ac-amiens.fr 22.01.2016
La menace a été sérieuse. Une sécheresse automnale persistante a marqué les semis de céréales de ce début de campagne. L'origine de ce manque d'eau est certes céleste. Cependant, des dysfonctionnements techniques et humains sont à relever1. Il serait bon d'en tirer les conclusions. Le retour de la pluie a permis de sauver la prochaine récolte, mais des effets sur le potentiel de récolte attendu sont à craindre. Et de façon étonnante ces effets ne seront pas là où on pourrait le craindre. A ce titre les services agricoles ont un deuxième défi à relever.

REALISER EN EXTREME URGENCE DES ANALYSES DE RELIQUATS AZOTES
Depuis quelques années, la pratique des analyses de sol se développent en Algérie. De nombreux laboratoires concourent à la réalisation de ces analyses de sols. C'est le cas de celui de Fertial. L'agriculteur peut savoir ainsi le niveau d'éléments minéaux présents dans le sol et donc estimer le niveau d'engrais qu'il doit apporter. Ces analyses sont faites en moyenne tous les 4 à 5 ans dans les exploitations performantes. Cet intervalle de temps entre deux analyses est celui que préconisent les spécialistes pour les principaux éléments minéraux : potasse, phosphore et oligo-éléments. Mais concernant l'azote, les préconisations agronomiques sont de réaliser des analyses chaque année. Oui, vous avez bien lu : chaque année.

AZOTE DU SOL, SEUL ELEMENT ISSU D'UN CYCLE BIOGEOCHIMIQUE
C'est que contrairement aux autres macro-éléments (phosphore et azote) l'azote minéral du sol provient essentiellement de la décomposition de la matière organique du sol. Dans le cas d'un blé par exemple, ce sont essentiellement la décomposition des pailles, chaumes, racines ou amendements organiques qui peuvent apporter de l'azote minéral aux racines de la culture suivante. En effet, les résidus de récolte et ces amendements sont riches en azote. Cependant, cet azote est sous forme organique. Or, les racines ne peuvent l'absorber que sous forme minérale : ammoniacale et nitrates. Ce sont des bactéries naturellement présentes dans le sol qui permettent cette transformation.

Mais ces bactéries ne sont actives qu'en présence d'un minimum d'humidité. Par ailleurs, elles sont capricieuses dans la mesure où elles ne sont pleinement actives qu'à des températures situées au delà de 6-7 degrès. Autant dire que la minéralisation en Algérie n'est active que lors des automnes et printemps humides.

Si on considère la pluviométrie de l'automne dernier, la faiblesse des pluies voire leur inexistance fait que dans certaines régions d'Algérie, on peut affirmer en première analyse, que la minéralisation de l'azote organique du sol n'a pas eu lieu. Conséquences, cet hiver 2016 les premiers horizons du sol sont plus pauvres qu'à l'accoutumée en azote minéral. Cette analyse est à moduler selon les précipitations automnales de chaque région.

EN 2016 SUR BLE, MAJORER LES DOSES D'AZOTE
D'une expérience de conseil auprès de gros céréaliers-betteravier dans le bassin parisien, nous avons retenu qu'on bon conseiller est celui qui se mouille, celui qui, entre différentes options, en choisit une. Aussi, mouillons nous ! Il nous semble qu'en Algérie, dans les conditions climatiques de cet automne, les reliquats azotés en sortie hiver sont faibles. Notre préconisations est donc de majorer les doses d'engrais azotés à apporter. Bien sûr l'idéal est de les fractionner. Les travaux de l'ITGC montrent, en effet que plus les apports d'azote sont fractionnés, meilleurs sont les rendements et le taux de protéines des grains de blé.

Cette faiblesse des reliquats azotés en cet hiver 2016 est une tendance forte. Ce constat est renforcé par les observations de ces derniers jours : des pluies abondantes et parfois de la neige. En effet, si les pluies d'automne sont intéressantes pour la minéralisation de la matière organique du sol, celles de l'hiver ne le sont guère pour l'alimentation azotée des plantes. Ces pluies ont tendance à lessiver une partie de l'azote minéral du sol. Les ions nitrates ne sont pas retenus par le sol ; de ce fait, ils ont tendance à migrer dans le sol hors d'atteinte des racines de la plante. Cela est d'autant plus vrai que les retards de semis de cette année ont eu pour conséquence un faible développement racinaire.

BLE DUR, QUEL NIVEAU DE FERTILISATION AZOTEE VISER
Le blé dur est une culture exigeante qui demande une réelle technicité de la part des céréaliers ; outre un objectif de rendement maximal, il leur faut viser un bon taux de protéines. En effet, le manque d'azote donne un grain farineux au lieu de la belle transparence si particulière du grain de blé dur. On dit que le grain est mitadiné. Or, qui dit mitadinage, dit faible rendement en semoule et mauvaise qualité des pâtes alimentaires. Choses rédhibitoires pour l'industrie de la semoule.

Mais revenons au rendement. Afin que les pieds de blé dur produisent le maximum d'épis et donc de grains-industriels de semoulerie, message plus d'azote, il s'agit qu'ils disposent d'azote au printemps. Toute carence d'azote ne permettra pas d'arriver au maximum de grains par mètre carré. Il y a déjà eu des années où l'humidité du sol et la pluviométrie locale était là, alors que le niveau d'azote apporté au sol par l'agriculteur ne soit pas au rendez vous. Dans ces cas là, ce sont des quintaux de grains qui sont perdus à jamais. En effet, de nombreux céréaliers n'apportent pas d'engrais azotés ou au mieux en apportent selon les prescriptions des services agricoles : 100 unités par hectare. Ce niveau est fixé arbitrairement suite à des essais en station sans analyses de reliquats azotés. Seule la réponse de la plante étant observée pour des doses croissantes d'engrais azotés.
A contrario, apporter 100 unités d'azote les années où les pluies automnales ont permis une bonne minéralisation et les pluies hivernales ont permis un faible lessivage, est aberrant. En effet, le sol est alors bien pourvu en azote et selon le rendement visé, les apports en engrais ne devraient être que de 50 unités d'azote.

Or, nous avons vu que le niveau d'azote du sol est un paramètre qui fluctue d'une année sur l'autre du fait des phénomènes de minéralisation et de lessivage. Actuellement les services agricoles sont dans une démarche qui pour un automobiliste consisterait à remplir chaque semaine son réservoir d'essence sans tenir compte du nombre de kilomètres hebdomadaires parcourus.

AZOTE, TIRER LA SONNETTE D'ALARME
On le voit donc, en Algérie, la situation en matière de fertilisation azotée des céréales est ubuesque. De nombreux agriculteurs sont excédés par les préconisations des techniciens : certaines années, l'azote apporté ne permet pas de bons rendements alors que la pluviométire est bonne. D'autres années, la même dose d'engrais grille littéralement les cultures. Cela pourrait préter à rire si la situation n'était pas si grave.

Il y a donc lieu de réaliser des annalyses de reliquats azotés en sortie hiver avant l'apport d'azote. Comme il serait difficile de généraliser ce genre d'analyse, il s'agit d'arriver à une mutualisation des moyens. Ainsi, sur une même petite région, les analyses devraient permettre de tirer des tendances afin d'informer par internet ou courrier les techniciens de terrain et les agriculteurs. Cela, au même titre que les avertissements agricoles qui permettent d'avertir les agriculteurs lors de l'arrivée d'insectes ravageurs des cultures.

Premiers concernés pour des raisons de qualité, les industriels de semoulerie, devraient s'occuper de la diffusion de ce type de message. Dans le cas de cette année, c'est à eux de prendre les devant et d'alerter les fellahs ; au moins ceux de leurs réseaux qualité. Car, ils risquent de se retrouver dès la récolte de cette année avec des blés durs de moindre qualité semoulière.

CEREALES EN ALGERIE, « ON MARCHE SUR LA TETE »
Mais qui se charge du volet quantitatif de la chose ? Qui en Agérie se préoccupe de donner plus d'azote au blé afin que chaque pied produise le maximum de grains ? Le fellah ? L'agri-manager, ces agriculteurs modernes instruits et à la tête de grandes ou moyennes exploitations ? L'information ne peut venir à eux car même les techniciens des services agricoles ne sont pas habitués à ce genre d'analyses pourtant simples.
Le technicien de la CCLS ? Outre qu'il n'a pas cette information, son salaire n'est pas indexé sur les quantités d'engrais azotés vendus ou les quantités de grains collectés dans les silos. Pourquoi voudriez vous qu'il aille courir derrière les fellahs pour les prévenir du danger actuel ?

En Algérie, il n'y a personne pour se préoccuper du niveau précis des doses d'azote à apporter ; ou bien si : une poignée de personnes aux moyens limités. Or, cela concerne des centaines de milliers d'hectares de blé ; l'aliment de base de la population.
A ce titre, et vu le niveau de gabegie technique, on peut dire qu'en Algérie, concernant la fertilisation azotée, « on marche sur la tête ». Le ministre de l'agriculture se demandait récemment si les 400 ingénieurs en poste à l'OAIC étaient bien utilisés. La question est posée. Pourquoi certains ne seraient-ils pas détachés de leurs tâches administratives pour se consacrer par exemple annuellement et durant deux semaines à l'estimation des reliquats azotés dans leur bassin de collecte ? Actuellement certains fellahs sont dégoutés des engrais azotés : « l'engri yahrag el gamh » disent-ils (l'engrais grille le blé ).

Pourquoi cette inefficacité? Car à notre avis, l'OAIC est un organismme dont le statut du personnel est dépassé. Et toute l'énergie de ses cadres dirigeants et du personnel n'y peut rien. Le salaire de l'ingénieur et du technicien devrait être indexé sur le niveau d'intrants vendus (engrais, produits phytosanitaires, …) de même que le chef de silo et son équipe devraient être rémunèrès en fonction des quintaux de céréales qu'ils font rentrer dans les silos. A l'étranger et en France, dans les coopératives céréalières, c'est ainsi que cela fonctionne. Il ne s'agit pas d'affubler le sigle « CCLS » du « C » de « Coopérative » pour qu'elle en soit une. Une coopérative possède des statuts spécifiques, sinon ce n'est qu'une antenne d'un office public et rien d'autres.

En l'état des choses, c'est aux industriels de la meunerie et de la semoulerie de se saisir du dossier. A eux également de se doter de moyens d'analyse rapide du taux de protéines à et de demander aux autorités à pouvoir réceptionner les grains aux portes de leurs silos. A eux également de demander la révision des barêmes de raréfaction. Ils datent de 1988 et qui ne sont plus adaptés aux exigences actuelles de qualité de la collecte des céréales.
Mais aux céréaliers également de trouver la force de s'organiser en groupe d'achats d'engrais et de produits phytosanitaires. Seuls de tels groupements peuvent permettre à terme de se doter de leurs propres techniciens. Techniciens qui auront alors obligation de résultats...

A défaut de structures de collecte des céréales réellement efficaces et de groupements d'achats paysans, concernant l'utilisation des engrais azotée sur céréales, nous continuerons à « marcher sur la tête ».
1Voir nos précédents articles sur la question (le non labour peut permettre d'amoindrir les effets des sécheresses automnales).

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