AUTO-SUFFISANCE
ALIMENTAIRE, Y ARRIVERA-T-ON TOUT SEULS ?
En
Algérie, les importations alimentaires augmentent d'années en
années. Face à cela les pouvoirs publics et les services agricoles
déploient des efforts considérables. Ces efforts visent à réunir
les meilleures conditions de travail pour les exploitations
agricoles. Cette politique donne ses premiers fruits. Mais l'urgence
de la situation fait que ces progrès ne suffisent pas. Faut-il alors
recourir à plus de coopération étrangère et dans ce cas là
comment ?
DES
PROGRES MADE IN DZ SANS AIDE ETRANGERE
L'agriculture
locale peut se targuer de belles réussites. C'est le cas par exemple
du développement de la culture de pomme de terre et de légumes sous
serres dans le Sud. C'est le cas encore à Constantine pour la
conservation des fourrages. Lounes Hamitouche, le dynamique PDG de la
Laiterie Soummam a mis sur pied dans cette région une entreprise de
travaux agricoles pour la récolte et la conservation des fourrages
par enrubannage. C'est également le cas avec la société ACI qui
en Mitidja avec la technique de la plantation des agrumes à haute
densité révolutionne ce secteur. De gros progrès sont également
réalisés dans le domaine du stockage des excédents de pomme de
terre ou de la production de raisin de table.
Ces
progrès sont possibles grâce aux efforts financiers des pouvoirs
publics, à l'encouragement de l'initiative privée et à une
politique de formation qui aujourd'hui permet au secteur agricole de
disposer d'un grand nombre de cadres capables d'acquérir de
nouvelles compétences au contact de techniques étrangères.
Certes, ces progrès ne se font pas sans technologie étrangère.
Ainsi dans le cas des serres canariennes de la région de Biskra ce
sont des ouvriers marocains qui ont contribué à vulgariser cette
technique. Mais, à chaque fois il s'agit là de réussites
d'investisseurs locaux.
Cependant,
répétons le ces progrès sont trop lents au vu de la demande
locale. Rappelons également que la campagne céréalière 2015 peut
être qualifiée de moyenne et que la campagne 2016 a démarré dans
un contexte de sécheresse automnale. Si les progrès sont lents il
apparaît qu'ils peuvent également être irréguliers. Dans un
contexte de réduction de l'aisance financière liée à la rente
pétrolière, cette situation n'est plus tenable pour le budget de
l'Etat.
CE QUE
NOUS NE SAVONS PAS FAIRE
Ces
quelques réussites ne doivent pas nous faire oublier ce que nous ne
savons pas faire dans le domaine agricole.
Nous
ne savons pas diffuser de nouvelles techniques ni de nouvelles
cultures. Ainsi, la protection phytosanitaire des céréales est bien
en dessous de ce qu'elle devrait être. De ce fait les mauvaises
herbes réduisent les rendements de même que les maladies fongiques
telle la rouille. Nous ne savons pas apporter de façon adéquate la
dose adéquate d'engrais au moment voulu et à l'endroit voulu.
Quant aux
cultures nous ne savons pas produire plus de fourrages ni des
oléagineux tels le colza ou le tournesol.
Enfin,
concernant le management, il n'y a
pas encore en Algérie de gestion efficace des structures agricoles :
Chambre d'Agriculture, coopératives paysannes, structure de
conseil agricole, instituts techniques ou CCLS. Or cela est
fondamental car la mise en place de nouvelles techniques repose sur
des structures professionnelles performantes et donc représentatives.
PROGRES
DZ ET UN CHOUIA DE COOPERATION
Jusqu'à
présent de nombreux projets de coopération agricole ont été
signés avec des partenaires étrangers.
C'est le
cas dans les années 70-80 entre l'ITGC et des partenaires français
pour dynamiser les productions végétales et animales dans la région
de Tiaret (Sersou). Plus récemment l'ONG française FERT a contribué
à un suivi de la production laitière en Mitidja. Dans le même
ordre d'idées le projet Alban a permis à des techniciens laitiers
français de mettre sur pied des groupes appui lait au niveau de la
wilaya de Souk Ahras. Des accords ont été signés avec des
partenaires hongrois ou coréens pour le domaine avicole ou de la
semence de pomme de terre.
Il
s'agirait de faire le bilan de cette coopération. Dans le cas des
organismes dépendant du MADR, ces accords ont consisté en un
accompagnement des agriculteurs ou structures locales.
Ce type
de coopération est fondamental. Il permet un transfert de
technologie. Cependant, les résultats sont parfois lent car sous la
dépendance de l'environnement local.
Les
blocages pour arriver à une augmentation de la production agricole
sont variés : juridique (foncier), financier (prêts),
techniques et humains. Du point de vue humain l'apport étranger peut
être considérable. Cet apport pourrait venir de chefs de cultures
étrangers qui n'auraient pas pour mission première de conseiller
des homologues locaux mais de mettre en application leur savoir dans
les conditions algériennes. Pourquoi ne pas imaginer des
exploitations où de tels chefs de culture viendraient avec leur
propre matériel agricole produire localement.
Notre
interrogation porte donc sur un type de coopération qui permettrait
de s'affranchir des lourdeurs locales. Il nous semble que cela est
possible dans le cas de structures telles des fermes pilotes ou des
concessions agricoles.
FERMES
PILOTES DZ, MAIS AGRI-MANAGER ETRANGER
Le cas
des fermes pilotes est particulier. Il s'agit de grandes
exploitations d'un seul tenant sur de bonnes terres avec le plus
souvent une pluviométrie abondante. Il s'agit de propriétés de
l'Etat. Il est donc possible de signer rapidement des accords
permettant la mise en place d'une expertise professionnelle étrangère
dès les campagnes agricoles suivantes.
De tels
accords pourraient déboucher sur la fourniture sur le marché local
de volumes conséquents de produits agricoles. En effet, si le
déficit hydrique structurel d'une grande partie du territoire
constitue une réelle difficulté, il existe cependant des techniques
d'arido-culture que maîtrisent parfaitement chefs de culture
espagnols, italiens français ou australiens. Il s'agit de considérer
la proximité culturelle et géographique (Espagnols à l'Ouest,
Italiens à l'Est) et la possibilité d'une coopération
inter-maghrébine. A ce propos, chez nos voisins immédiats existent
des contremaîtres et des ouvriers spécialisés recherchés par les
investisseurs locaux pour leur savoir faire. Or, l'actuelle politique
de contrats de travail et de permis de séjour est très restrictive
pour la main d'oeuvre spécialisée étrangère.
L'OPTION
SIM
Parmi les
grands groupes agro-alimentaires privés nationaux SIM se distingue
par l'établissement d'alliances avec des groupes étrangers. C'est
notamment le cas avec la filière Sanders du groupe coopératif
français AVRIL. Cette stratégie a abouti à la création d'une
première unité d'aliments pour bétail. SIM comme d'ailleurs
CEVITAL ont plusieurs fois manifesté leur volonté de pouvoir
disposer de moyens afin de produire eux même une partie de leur
approvisionnement en matières premières ; respectivement
céréales et graines d'oléagineux.
A côté
de ces groupe à capitaux essentiellement nationaux, il faut noter la
présence de capitaux en provenance du moyen orient et qui sont
investis par exemple dans le secteur de la production de matières
grasses alimentaires.
Ces
entreprises qui aujourd'hui assurent l'approvisionnement d'un grand
nombre de consommateurs ont le besoin de sécuriser leurs
approvisionnements en matière première. Si de tels groupes peuvent
espérer un meilleur accès aux marché international des céréales
et des oléagineux, ils ne sont pas à l'abri de crises
conjoncturelles : mauvaises récoltes en Europe ou en Amérique).
Par ailleurs, le développement des agro-carburants entraîne une
hausse progressive de certains de leurs approvisionnements.
Dans ce
contexte, il serait tout a fait indiqué de favoriser l'intégration
en amont de ces grands groupes agro-alimentaires. Cet objectif
pourrait passer par une politique de concessions agricoles mais
également par une orientation publique de ces groupes vers une
politique de contractualisation. Au lieu que ce soit des services
agricoles publics qui assurent un appui technique parfois défaillant
aux producteurs, dans leur bassin d'approvisionnement, cet appui
pourrait être le fait de structures dépendant des firmes
agro-alimentaires locales. C'est déjà le cas du Groupe Benamor dans
le cas de la tomate industrielle et du blé dur (réseau qualité
blé). Dans ces conditions, ces groupes auraient alors tout intérêt
à s'entourer des meilleurs compétences qu'elles soient locales ou
étrangères. Ce type d'approche est réalisé dans le domaine
laitier. Afin de sécuriser leur approvisionnement en lait frais,
certaines laiteries dont Danone Djurdjura investissent en amont.
Par
ailleurs, les groupes agro-alimentaires locaux à capitaux étrangers
peuvent bénéficier du savoir faire de leur partenaire étranger ou
de leurs filiales maghrébines comme dans le cas des relations à
trois entre Danone (France) – Sotubi (Tunisie) – Lu (Algérie)
pour les biscuits ou Lesieur (France) – Cristal (Maroc) – Lesieur
Cristal (Tunisie) pour les huiles végétales.
Dans le
cas d'accords avec de grands groupes coopératifs, les partenaires
algériens pourraient disposer de l'expérience de réseau d'appui
technique confirmé. Les structures étrangères viendraient ainsi
compenser l'inexistence de réseaux locaux d'apui technique
efficaces.
CE QU'IL
NE FAUDRAIT PAS FAIRE
La presse
nationale a souvent évoqué la possibilité de réaliser des accords
avec des pays étrangers ou des firmes étrangères pour par exemple
l'installation de grandes fermes laitières dans le grand Sud
algérien. On peut se demander comment la production laitière qui
n'a pas pu être réalisée dans les conditions climatiques
favorables du Nord du pays pourrait l'être dans les conditions
arides du désert.
Ces
projets tablent tous sur l'exploitation des ressources hydriques du
sous sol. Ces ressources étant chargées en sel et n'étant pas
renouvelables, on peut se demander quelle est la durabilité de ce
type de projets.
Une autre
erreur serait de développer des coopérations dans le seul but
d'augmenter l'exportation à l'état brut ou transformé de certains
produits agricoles: dattes, pomme de terre primeur, pâtes
alimentaires. En effet, le milieu naturel local est fragile. Il est
menacé par l'érosion hydraulique, l'érosion éolienne et la
salinisation. Par ailleurs, la mobilisation des ressources hydriques
de surface nécessite des moyens financiers important au moment où
la demande en eau potable des villes ne fait qu'augmenter. Dans ces
conditions, espérer faire de l'Algérie un pays exportateur de
produits agricoles est une chimère.
BRADER LE
PAYS ?
Dans le
processus de démocratisation que connait le pays, on peut imaginer
les critiques de l'opposition vis à vis d'une telle démarche.
Certains parleront sans doute de « retour des colons ». A
cela, il s'agit de répondre et d'expliquer qu'il s'agit d'arriver à
des accords gagnant-gagnant. Cela nécessite de négocier finement
car les investisseurs étrangers n'investiront que si le rendement
des fonds qu'ils engagent leur est profitable.
Aussi, de
tels accords devraient être limités dans le temps (5 ou dix
ans renouvelables). Ils devraient assurer une exploitation durable du
sol et des ressources locales en eau, permettre un transfert de
technologie et bénéficier au marché local tout en interdisant
l'export des produits agricoles.
Du point
de vue pratique, l'investisseur étranger devrait disposer de la
possibilité de ramener en Algérie, dans des conteneurs, et sans
aucun droit de douane, son matériel agricole neuf ou d'occasion. Il
devrait également lui être accordé la possibilité d'importation
de toute pièce détachée, de tout engrais ou facteur de croissance
(inexistant sur place) ou de tout produit phytosanitaire (autorisé
par la législation locale) mais sans possibilité d'exporter les
productions.
Ces
exploitations devraient avoir également la possibilité de faire
venir de la main d'oeuvre étrangère spécialisée. Elles
devraient donc pouvoir bénéficier d'accords de droits de séjour
facilités.
Outre la
possibilité de produire, de telles exploitations pourraient avoir le
droit de transformer leur production (1ère ou 2ème transformation)
et de vendre localement farine, semoule, pâtes, couscous, pain,
huile, tourteaux … etc. La rentabilité de ces exploitations
seraient ainsi améliorée. Une telle attractivité pourrait amener
plus d'investisseurs potentiels mais également permettre à la
partie algérienne que les contreparties demandées soient plus
larges (emplois, impôts, transfert de technologie, …).
Par
ailleurs un état des lieux devrait être établi avant tout
signature de contrat. Cet état des lieux devant comporter notamment
analyse sol avec notamment analyse du taux de matière organique du
sol, niveau de la nappe phréatique.
Le
contrat devrait également comporter des mesures favorisant
l'agriculture de conservation. Il devrait y avoir interdiction labour
avec obligation de semis direct et de restitutions organiques au sol.
L'irrigation par submersion devrait être interdite et toute
irrigation ne devrait être faite qu'au goutte à goutte ou par pivot
(avec utilisation de sondes tensiométriques).
Concernant
les aménagements il devrait être possible par exemple d'engager des
travaux afin de limiter le ruissellement des eaux de pluies, favoriser
l'épandage des crues, de réaliser des forages mais en nombre et
débit contrôlé (présence de compteurs à eau). Les services
concernés tels ceux de l'hydraulique devraient être chargés
d'établir des contrats type.
CONCLUSION
L'analyse
des chiffres relatifs aux importations alimentaires a de quoi donner
le vertige. L'accroissement actuel de la production agricole locale
n'arrive pas à suivre les besoins toujours plus croissants en
quantité et en qualité des consommateurs algériens.
Face à
cette situation, le secteur dispose d'atouts : le recours à
plus de coopération étrangère. En effet, les potentialités du
secteur agricole restent sous-exploitées. Si les compétences
locales sont nombreuses et en plein développement avec parfois des
innovations originales, elles restent limitées.
Des
coopérations avec des institutions étrangères permettent de
bénéficier du savoir faire de techniciens confirmés. Ce type de
projets avec, par exemple, la mise sur pied de réseaux d'appui
technique à des éleveurs laitiers comme dans le projet Alban,
s'avèrent positives et à poursuivre. En effet, l'Agriculture
algérienne occupe un million de familles paysannes et à ce titre,
outre la production agricole, son rôle est d'assurer un revenu à ce
qui représente 11% de la population locale. Il s'agit ainsi de
réunir les conditions d'un développement des petites exploitations
(formation, auto-encadrement par des associations professionnelles
agricoles, développement de coopératives paysannes, maturation des
filières...).
Cependant,
les progrès ainsi obtenus sont lents. Par ailleurs, trop longtemps
en Algérie, le développement agricole a été considéré comme
pouvant être impulsé par de seules structures à caractère
administrative (DSA, Instituts techniques, office tel l'OAIC).
Depuis plusieurs années à ces structures se sont ajoutées des
structures privées (transformateurs et vendeurs de matériel et
d'intrants agricoles).
Aussi,
face à l'urgence du moment, il pourrait être fait recours à plus
de coopération étrangère sous la forme d'une prise en charge pour
des périodes de 5 à 10 ans de certaines fermes pilote ou de grandes
concessions agricoles. Leur gestion au jour le jour pourrait être
confiée à des techniciens étrangers rompus aux techniques durables
de l'arido-culture et disposant de facilités d'importation de
matériel agricole.
Une autre
forme pourrait consister à mobiliser cette expertise étrangère par
le biais de grands groupes agro-alimentaires locaux investissant dans
l'amont par le biais de concessions agricoles ou d'une politique
active de contractualisation que les pouvoirs publiques pourraient
fortement encourager. Selon les productions et les partenariats,
différentes formes de coopération de terrain seraient alors
possibles.
De grands
groupes agro-industriels locaux ont choisi de développer des
alliances stratégiques avec des partenaires étrangers : grand
groupe coopératif dans le cas de l'accord SIM-Sanders ou PME dans le
cas d'une boulangerie industrielle dans le cas de Groupe
Benamor-Mecatherm. On note un seul absent : les pouvoirs
publics. Ces derniers brillent par l'absence d'un stratégie claire.
Ainsi le projet de Cevital de relance de la production locale
d'oléagineux reste en stand-by.
Dans tous
les cas, l'urgence ne doit pas faire oublier le caractère fragile du
milieu naturel local (méditerranéen, semi-aride et aride) et la
nécessité d'une exploitation durable des ressources en terres
agricoles et en eau de ce milieu.