mardi 9 août 2016

FRANCE-BLE 2016 , "La récolte meurtrière".


La moisson meurtrière.

Par Marie de Greef-Madelin
Hebdomadaire : Valeurs Actuelles. 29 Juillet 2016 



Les fortes pluies des derniers mois ont altéré la qualité des blés. Par endroits, les épis sont vides de grains. Photo © Alamy

Blé. Du jamais-vu depuis 1976. Les prix sont au plus bas et les rendements catastrophiques. Après les éleveurs et les maraîchers, les céréaliers sont à terre. Reportage en Picardie.

C’est un moment crucial. Dans ce village de Guignicourt, aux confins des départements de l’Aisne, de la Marne et des Ardennes, où se succèdent des fermes et de longs hangars, Olivier Dauger monte dans sa moissonneuse-batteuse flambant neuve. Il l’a acquise l’an dernier en copropriété avec un autre fermier pour remplacer deux vieilles machines. Un bijou technologique, d’une valeur de 250 000 euros, capable de battre 3 hectares à l'heure et qui, avec son GPS et son ordinateur de bord, possède un système de guidage automatique. Mais, au lieu de se réjouir, le paysan a la mine défaite. Il sait que la moisson 2016 sera catastrophique.
« Ma pire année depuis que j'ai repris la ferme de mon père, en 1994. J'espère un rendement de 60 à 70 quintaux de blé contre 100 l'an dernier », se désole celui qui vient de fêter son 50éme anniversaire. A la tête d'une exploitation de 220 ha de bonnes terres, Olivier Dauger, qui est aussi Président de la Chambre d'Agriculture de l'Aisne, a pour la première fois le sentiment qu'il a mangé son pain blanc, que « le blé, ça eu payé mais ça ne paie plus ».
Dans un premier temps, la M-B s'élance majestueusement. De grosses lames d'acier soulèvent les épis souvent couchés au sol, dont les tiges ont plié en juin sous l'excès d'eau.
[Il est à remarquer que ce phénomène de verse est accentué par une mauvaise gestion des doses d'aote à apporter. La réalisation de reliquats azotés en sortie hiver permet de viser la dose adéquate. Puis, manifestement l'agriculture a choisi des variétés à très haut potentiel de rendement et donc à paille relativement haute. Viser un fort rendement a aussi impliqué une trop forte densité au semis. Ndlr Djamel Belaid. ]

« Ca fait mal ; c'est le travail d'une année », se désole le chef de culture. Impossible de faucher dans les deux sens comme à l'habitude tant les tiges sont couchées, la puissante batteuses, avec sa caméra, ses calculs de rotation et de broyage, trace des rectangles pour optimiser au mieux la moisson. Au loin, une parcelle ne sera même pas battue. Elle appartient à un paysan du village voisin qui, plutôt que de renouveler son matériel agricole, aurait voulu confier sa moisson à une entreprise spécialisée. Seulement, les coûts facturés sont supérieurs au rendement espéré... alors l'agriculteur préfère laisser son blé sur pied.

Une récolte épouvantable épouvantable due à un excès d'eau au printemps, au moment de la fécondation et de la sortie des fleurs, associé à la fusariose. Ce champignon, impossible à traiter en raison de la fréquence des pluies, a altéré la qualité des grains. Il suffit de cueillir et de fouetter un épi : là où habituellement, on compte une vingtaine de grains, l'épi n'en présente que cinq exploitables. Les autres sont « moches », atrophiés, voire inexistants. Non seulement les rendements seront très bas, mais il va falloir trier la marchandise : les grains bons pour la meunerie et les autres, les grains à poule, vendus à la casse. De fait, les coûts de production des céréaliers risquent de s'envoler, de l'ordre de 50% selon les prévisions de la société de conseil Ofre et Demande Agricole (ODA).
De retour dans les bureaux, l'ambiance est déprimante aussi. Sur les écrans, voilà l'espoir dune année ruiné. « Quand on vous dit que les agriculteurs râlent tout le temps et par tous les temps, mais regardez les prix ! » lâche Olivier Dauger. L'an dernier, 40% des céréaliers ont enregistré un revenu négatif. Cette année, ce sera pire. Entrés dans une spirale baissière en 2014, les cours ont diminué de 30% depuis janvier. Ils se situent à 130 euros la tonne de blé pour la nouvelle récolte. « On vendait 210 euros la tonne en 2012, cela fait 40% de moins cette année », ajoute Xavier Dauger, le père d'Olivier, qui a consacré sa vie à l'agriculture.

L'avenir est sombre : les prix devraient rester bas jusqu'en 2020, selon le dernier rapport Cyclope de l'économiste Philippe Chalmin. En cause, la chute des prix du maïs, qui entraîne l'ensemble des céréales dans son sillage, et les records d'exportation de blé réalisés par la Russie (24,5 milions de tonnes) et l'Ukraine (17,35 millions de tonnes), nos concurrents directs.

Cette situation catastrophique, Olivier Dauger la partage avec les administrateurs de la FNSEA, premier syndicat agricole, dont il fait partie, et avec son président, Xavier Beulin. Bien conscient de la réalité, ce dernier, qui préside le groupe Avril et gère en famille une exploitation de 500 hectares dans le Loiret, est touché de plein fouet, comme tous les céréaliers. A proximité d'Orléans, si les champs de blé semblent beaux, les épis sont parfois vides.
« Le Ministre de l'Agriculture, Stéphan Le Foll, voudrait nous faire croire que la production de blé reculera
de seulement 10% cette année en France, à 37 millions de tonnes. Mais la réalité sera bien pire » pronostique O Dauger. Dans le croissant riche de la Picardie et de la Beauce, le déficit atteindrait 50%. Sur les comptes Twitter, les premières estimations de rendement défilent avec une expression qui revient en boucle : « ça fait peur... » Dans ces régions, aucune autre production – escourgeon, colza, pois... - ne viendra compenser le déficit de blé. Pour le pois de printemps, il manquerait 2 tonnes à l'hectare pour assurer des marges bénéficiaires.
L'ensemble des cultures est touché par la chute des prix, qui ne couvrent plus les coûts de production. « Après deux années difficiles, c'est le coup de massue pour les céréalier : leurs charges seront deux fois supérieures à leurs recettes », pronostique Renaud de Kerpoisson, chez Offre et Demande agricole. Du jamais-vu depuis la grande sécheresse de 1976. Le calcul est rapide : sur la base d'un prix de vente de 140 euros la tonne, le chiffres d'affaire d'un céréalier se situera entre 700 et 900 euros l'hectare. Or, il lui faudrait dégager le double, selon ODA, pour amortir ses coûts de production (estimés à 165 euros la tonne avec une production de 8 tonnes l'hectare, soit 1320 euros). Impossible donc pour un paysan de se payer et même de régler ses dettes.
Or, de nombreux céréaliers ont profité des années fastes, notamment 2012 et 2011, pour réaliser de gros investissements : achat de machines à crédit, mise aux normes ou financement de nouvelles technologies. Beaucoup se retrouvent aujourd'hui dans l'incapacité de rembourser leurs annuités. D'autant que les aides européennes de la PAC, décidées jusqu'en 2020, sont en net repli pour les surfaces en céréales et oléo-protéagineux (Scop). « Je vais perdre 150 euros d'aide à l'hectare d'ici à trois ans ; cette année ce sera 60 euros de moins, sioit 15000 euros de manque à gagner dans le bilan de ma ferme confie Olivier Dauger.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire