Un article qui se passe de commentaires et que nous reproduisons in extenso.
«
Panama papers » : malversations d’un importateur algérien de
poudre de lait
En
Algérie, l’importation de poudre de lait a permis de bâtir des
fortunes, parfois douteuses. Et des sociétés offshore ont été
utilisées pour gonfler les prix et engranger à la fois profits et
subventions. C’est en tout cas ce que permettent de comprendre les
documents « Panama papers », obtenus par la Süddeutsche Zeitung et
le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ)
dont Le Monde est partenaire. On y découvre que le fabricant de lait
en sachet, Zoubir Bererhi, 73 ans, dispose de deux compagnies
offshore : Dairy Food Ingredients Ltd et Oxford Chemical Ltd. Il en
est le bénéficiaire économique en association avec son fils Jawed,
45 ans. Celui-ci est directeur de l’usine d’Oued Smar, dans la
banlieue d’Alger, gérée par la société de son père, la SARL
Liko.
Les
Bererhi ont recouru aux services du cabinet panaméen Mossack Fonseca
– mis en cause dans les « Panama papers » – par le biais de la
société genevoise de gestion de fortune Fiducior SA pour domicilier
leurs deux sociétés aux îles Vierges britanniques. Les deux
compagnies étaient destinées à la gestion de portefeuilles placés
à la banque Credit suisse, à Genève. Mais l’une d’entre elles,
Dairy Food Ingredients Ltd, a aussi servi d’intermédiaire pour
d’importantes transactions. Les Bererhi lui faisaient acheter de la
poudre de lait au prix du marché, en Ukraine notamment, avant de la
revendre en Algérie… à eux-mêmes, à un prix bien supérieur. Le
tout en évitant que cela se sache.
Dans
un courriel du 2 novembre 2009 à l’antenne genevoise de Mossack
Fonseca, le fondé de pouvoir des Bererhi, Jean Sunier, employé de
Fiducior SA, prévient le cabinet panaméen d’éventuelles
vérifications des douanes algériennes. Il lui demande de ne pas
mentionner que M. Bererhi contrôle Dairy Food Ingredients Ltd. Le
contrat en question est signé par Jawed Bererhi pour le compte de
Liko. Il porte sur l’achat à une société, sans doute ukrainienne
(le nom n’apparaît pas), de 700 tonnes de poudre de lait au prix
de 5 600 dollars la tonne, pour un montant total de 3,92 millions de
dollars (3,5 millions d’euros). Et cela, alors qu’en 2009 la
tonne de poudre de lait valait en moyenne 2 400 dollars sur le marché
mondial.
Cette
même année, les importations de poudre de lait en Algérie ont
atteint 93 000 tonnes pour une valeur de plus de 220 millions de
dollars, soit un prix moyen équivalent à celui du marché, 2 400
dollars, selon le Centre national de l’informatique et des
statistiques (CNIS) des douanes algériennes. Et pourtant, les 6 300
tonnes importées d’Ukraine – notamment celles de Liko –
étaient facturées en moyenne un peu plus de 4 000 dollars.
Le
lait, aliment de base d’une grande partie des Algériens, avec 115
litres consommés par habitant et par an, selon le ministère de
l’agriculture et du développement, figure en tête des produits
que l’Etat algérien subventionne à coups de centaines de millions
de dollars chaque année. Le marché du lait est estimé à 5
milliards de litres par an : 177 laiteries se partagent ce marché
(15 appartiennant au groupe public Giplait, qui détient un tiers du
marché, et 162 laiteries privées se répartissent le reste).
Selon
le système qui prévalait jusqu’en 2009, date du changement de la
politique de subvention, le gouvernement maintenait le prix du litre
à 25 dinars (0,20 euro) grâce à des subventions versées aux
producteurs par l’intermédiaire du fonds de compensation pour les
produits alimentaires. Plus le coût déclaré par les importateurs
et producteurs était élevé, plus ils recevaient de subventions,
pour maintenir le litre de lait à 25 dinars.
ENCADRE :
Les arnaques sur le lait algérien, calculette en main
A
2 400 dollars la tonne en 2009, les 103 grammes de poudre en sachet
nécessaires à la production d’un litre de lait reviennent à 17,4
dinars au taux de change de l’époque (1 dollar valait 70 dinars).
A considérer que la matière première représente 90 % du coût de
revient du sachet du lait – le reste étant la masse salariale,
l’emballage, l’amortissement et les charges diverses, comme
l’électricité, ainsi que les impôts et les taxes –, le litre
de lait revient à 19,3 dinars. En additionnant la marge que prend le
transformateur (5 dinars), cela fait 24,3 dinars. Le prix public
étant fixé 23,35 dinars à la sortie de l’usine pour 25 dinars en
magasin, l’Etat aurait versé à Liko 1 dinar pour chaque litre
produit.
Mais
à 5 600 dollars la tonne, le prix pratiqué à plusieurs reprises
par les Bererhi entre leur société offshore et Liko, le coût du
sachet est de 40 dinars, ce qui leur donnait droit à 15 dinars du
gouvernement pour chaque litre produit. Soit plus de 1,2 million de
dollars de subventions par mois.
Ce
dispositif a longtemps favorisé les surfacturations à
l’importation. Le montage triangulaire auquel recouraient les
Bererhi leur permettait ainsi de manipuler les prix de la matière
première à leur guise. Leur société offshore, dont ils
prétendaient ne pas être propriétaires, achetait la poudre au prix
du marché mondial, et la revendait à leur propre laiterie parfois
deux fois plus cher. Avec un triple avantage : toucher davantage de
subventions, sortir des devises pour ces achats à valeur fictive, et
engranger le bénéfice offshore.
Dans
les documents de Mossack Fonseca apparaissent douze opérations
d’importation réalisées entre 2007 et 2009 par Liko, totalisant 4
080 tonnes pour une valeur de 22 millions de dollars. Soit 5 400
dollars la tonne, le double du prix du marché en 2009.
A
partir de 2009, l’Etat algérien a renoncé au mécanisme de
subvention aux producteurs afin de favoriser la collecte du lait cru
en Algérie. La poudre de lait importée est désormais distribuée
par l’Office national interprofessionnel du lait (ONIL) à prix
fixe (et non plus à prix flottant) et subventionnée à 159 dinars
le kilo (1 450 dollars la tonne au taux actuel du change). L’Etat
accorde par ailleurs au transformateur une prime de 5 dinars par
litre de lait cru local.
Jusque-là,
la surfacturation était un véritable sport national pour les
importateurs, et pas seulement dans le secteur laitier. En 2012, pour
des pratiques similaires découvertes par hasard, le laboratoire
pharmaceutique Sanofi-Aventis Algérie avait été condamné à une
amende de 26 millions de dollars et son directeur, condamné à un an
de prison avec sursis.
Les
douze contrats d’importations de la SARL Liko consultés ont quant
à eux été conclus alors que la société bénéficiait du régime
de l’Agence nationale de développement de l’investissement
(ANDI), lequel accorde d’importantes exonérations fiscales. La
société s’en portait bien. Entre 2007 et 2008, selon une source
proche de l’ANDI qui préfère garder l’anonymat, Liko a plus que
doublé son chiffre d’affaires, passant de 673,6 millions à 1,5
milliard de dinars en 2008. Malgré ce doublement de l’activité,
Liko est officiellement restée déficitaire ces années-là.
Contacté
à de multiples reprises par courriel et par téléphone, Zoubir
Bererhi n’a pas voulu répondre à nos questions. Son fondé de
pouvoir genevois, Jean Sunier, non plus.
ENCADRE :
Un continent de secrets : une nouvelle série sur les « Panama
papers » en Afrique
Le
Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ),
dont Le Monde est partenaire, publie dès lundi 25 juillet une
nouvelle série d’articles à partir des documents « Panama papers
» sur l’évaporation des ressources en Afrique.
La
présentation (en anglais) de cette série est à trouver ici.
Les
11,5 millions de documents issus du cabinet panaméen Mossack Fonseca
mettent en lumière le rôle des sociétés offshore dans le pillage
du continent, qu’il s’agisse de l’industrie du diamant en
Sierra Leone, des structures de dissimulations du milliardaire
nigérian Kolawole Aluko, propriétaire d’un yacht sur lequel
Beyonce a passé des vacances et lié à l’ancienne ministre du
pétrole nigériane Diezani Alison-Madueke, ou le recours
systématique aux paradis fiscaux par l’industrie extractive.
Selon
l’ICIJ, des sociétés issues de 52 des 54 pays africains ont
recouru à des structures offshore, participant à l’évaporation
de 50 milliards de dollars d’Afrique chaque année. ICIJ, pour
cette nouvelle série, s’est appuyé sur ses partenaires habituels
ainsi que sur des journalistes en Algérie, au Ghana, en Tanzanie, au
Niger, au Mozambique, à Maurice, au Burkina Faso et au Togo,
coordonnés par le réseau indépendant ANCIR.
En
savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/09/30/les-panama-papers-revelent-les-malversations-d-un-importateur-algerien-de-poudre-de-lait_5005898_3212.html#wJ6BHCH9tdHw3tkI.99
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