LES
ARABES FONT REFLEURIR LE DESERT
Djamel BELAID 30.04.2016
Le manque d'eau est une calamité
dans les pays du Proche-Orient et d'Afrique du Nord. Bon nombre des
surfaces agricoles sont situées en zone semi-aride. Les rendements
en céréales sont faibles et l'érosion menace. Longtemps considérée
comme une fatalité, cette situation change dans le bon sens grâce à
de nouvelles techniques agricoles. Celles-ci sont en totale rupture
avec celles existant précédemment. es agriculteurs arabes sont en
train de faire refleurir le désert ou du moins les zones semi-aride.
LE MYTHE ECORNE DU DESERT
REFLEURI
En Palestine, bien avant 1948,
le Yishouv a mis en place une politique de développement agricole.
Parfois ce sont des ouvriers yéménites qui ont mis en valeur des
zones désolées. A côté d'exploitations palestiniennes qui
produisaient céréales, olives et fruits ces exploitations
communautaires ont développé de nouvelles productions.
Après 1948, l'afflux de
capitaux et de cadres a permis le développement de techniques
modernes telle l'irrigation au goutte-à-goutte. Ces techniques ont
permis une politique d'exportation d'agrumes, d'avocats et de
fleurs. Elles ont été possibles par la captation de l'eau du
Jourdain, du Golan et des nappes phréatiques de la Cisjordanie et de
Gaza. Longtemps l'historiographie israélienne a été basée sur le
mythe du désert refleuri grâce au travail des colons.
Aujourd’hui, les travaux des
nouveaux historiens israéliens - dont Tom Segev – ou palestiniens
– dont Nour Masalha – montrent qu'à côté de la mise en valeur
de nouvelles terres, existent, dès 1948 des cas de récoltes
céréalières de paysans palestiniens brulées et depuis les années
90 des cas d'oliviers palestiniens arrachés. L'étendue des
expropriations de terres agricoles palestiniennes a entrainé un
large mouvement international BDS.org à l'image de celui de l'Afrique du
Sud à l'époque de l'apartheid. Ces faits ont sérieusement écorné
l'image d'un Etat faisant refleurir le désert.
PAYS ARABES, CAP SUR LES
TECHNIQUES PLUVIALES
Si les techniques d'irrigation
au goutte à goutte sont progressivement adaptées dans les pays
arabes, ces derniers mettent progressivement le cap sur l'agriculture
pluviale. Il est ainsi possible d'utiliser plus de surfaces
agricoles. En effet, que ce soit au Maghreb, en Palestine, Syrie,
Irak ou Jordanie de nombreuses surfaces agricoles ne reçoivent que
300 à 400 mm de pluie par an. Ces régions semi-arides sont souvent
dédiées à la culture des céréales et à l'élevage ovin.
Jusqu'à présent, les
techniques employées pour implanter les céréales consistaient en
un labour. Or, celui-ci est une opération coûteuse en temps et en
carburant. Par ailleurs, le labour assèche le sol et contribue à
l'érosion. Grâce à la coopération australienne, dès 2005 la
station ICARDA d'Alep en Syrie a expérimenté le semis-direct. Bien
qu'utilisé aux USA et au Brésil, le semis-direct version
australienne est bien plus adapté aux conditions des pays arabes. En
effet, les modèles de semoirs à dents australiens permettent, lors
du semis, la formation de sillons dans lesquels sont disposés
semences et engrais. Ces sillons permettent de collecter les eaux de
pluies automnales et ainsi d'obtenir une germination-levée régulière
et cela même pour des semis au mois d'octobre. Traditionnellement,
les semis se poursuivent jusqu'à fin décembre, ce qui est une
hérésie.
Au début les semis ont été
réalisées à l'aide de matériel étranger. Progressivement, aidés
par les experts australiens, des artisans ont construit sur place le
matériel nécessaire. Cette disponibilité en semoirs pour
semis-direct a permis à des céréaliers syriens et irakiens de
produire plus de céréales à moindre coût sans avoir recours à
l'irrigation.
DU MATERIEL MADE IN SYRIA,
IRAQ, OU JORDAN
De 2005 à 2012, les experts
australiens basé à Alep n'ont pas ménagé leur peine afin de faire
connaître les techniques de culture des céréales en milieu sec.
Travaillant avec des ingénieurs agronomes syriens, irakiens ou
jordaniens ils ont multiplié les essais en station mais également
chez les agriculteurs. La production de semoirs pour semis-direct a
été possible par le développement d'un modèle à dents low-cost.
En Syrie, le succès a été
immédiat. Plusieurs ateliers ont entrepris la construction d'engins
en s'inspirant du matériel australien. Des essais au sein de groupes
d'agriculteurs ont permis une constante vulgarisation de cette
nouvelle technique. Souhaitant développer leurs ventes, les artisans
ont eux-mêmes entamés des actions de vulgarisation. Un contact
étroit entre artisans et agriculteurs a permis de constantes
améliorations du matériel. En 2012, avant les événement que
connait actuellement la Syrie, ce sont pas moins de 92 semoirs qui ont
été produits par 8 ateliers. Certains exemplaires ont même été
exportés vers la Palestine ou l'Algérie.
Les progrès en Irak ont été
plus lents. Dans un premier temps les artisans locaux se sont
orientés vers la production de kit permettant de convertir les
semoirs conventionnels en semoirs pour semis-direct. Puis de
premiers ateliers ont démarré la production de matériel local.
En Jordanie, des contacts avec
un fabricant de matériel agricole – les établissements Rama MFG –
ont permis la production industrielle d'un semoir low-cost.
DU MATERIEL MADE IN ALGERIA,
MOROCO OU TUNISIA
Dans les pays du Maghreb, le
non-labour avec semis-direct est connu depuis une dizaine d'années.
Cependant, cette technique n'était jusqu'à présent disponible que
pour de grosses exploitations en mesure d'importer de gros engins
européens, américains ou brésiliens. Les petites exploitations
étaient écartées de cette technique prometteuse. La création de
groupements paysans avaient permis à quelques exploitations de
taille moyenne d'acquérir ce type d'engins. Or, depuis peu, une
fabrication locale de semoirs low-cost se dessine.
Très tôt, un petit fabricant
marocain, les ateliers ATMAR ont développé en collaboration avec
des ONG françaises et l'Ecole d'Agronomie de Meknès un modèle
local. Actuellement, la production locale est d'une dizaine d'engins.
En Algérie, l'aide des experts australiens a permis la mise au point
par l'entreprise CMA-SOLA d'un premier prototype. A Sétif, les
Etablissements Refoufi ont démarré la production à petite échelle
de semoirs. Enfin à Béja (Tunisie), un artisan a lancé une
production de semoirs pour semis-direct.
PRIX NOBEL DE LA PAIX POUR
L'ICARDA ?
Le semis-direct constitue un
progrès indéniable en zone semi-aride. Il permet pratiquement de
doubler les marges de l'agriculteur. En Syrie un de ces agriculteurs
pionniers explique que grâce à cette technique, en utilisant le
volume de carburant auparavant utilisé pour le labour, il a pu
emblaver une superficie 4 fois supérieure.
En évitant un labour qui
assèche le sol et en lui préférant le semis-direct avec une
méthode permettant la création de sillons collecteurs de pluie, les
agriculteurs arabes ont fait reverdir le désert. En particulier en
Syrie et Irak, par une adoption massive de cette technique
australienne rédaptée aux conditions locales, ils ont montré leur
capacité à innover.
A ceux qui affirment que les
économies des pays arabes n'ont jamais rien produit, l'adoption du
semis-direct démontre le contraire.
Ce progrès n'aurait pas été
possible de façon aussi rapide sans l'aide des experts australiens
oeuvrant au sein de l'Icarda et sans le dynamisme des artisans et
ingénieurs des pays arabes. Aussi, cet organisme basé jusqu'en 2012
à Alep mérite nettement l'attribution du prix Nobel de la Paix. Là
où des groupes armés financés par des monarchies moyennageuses et
bénéficiant de complaisances européennes et US, l'Icarda avait su
apporter progrès technique et développement rural. Quant aux
équipes locales de cadres et d'ingénieurs, les décideurs des pays
concernés ferait preuve de clairvoyance en les primant comme il
se doit.
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