ALGERIE, LE SEMIS-DIRECT INCONNU
A L'INRA ?
Djamel BELAID 15.04.2016
djamel.belaid@voila.fr
« Au vu des dernières
précipitations qui ont été plus que satisfaisantes, la saison
agricole sera principalement sauvée cette année surtout s'il y a au
cours de ce mois d'avril d'autres pluies ». Cette phrase
est de Mr Fouad Chehat, directeur général de l'Institut National de
la Recherche Agronomique. Cette déclaration a été faite en cette
mi-avril sur les ondes de la Chaîne III. On peut être étonné par
ces propos de la part du plus éminent agronome du pays. Mr Chehat
a-t-il déjà entendu parler de semis-direct, cette technique
qualifiée d'anti-sécheresse ?
LE COLON ET LES PLUIES D'AVRIL
Il nous a déjà été donné
d'entendre ce type de propos. C'était dans la région de Tiaret
durant les années 70 lors d'une campagne de Volontariat pour la
Révolution Agraire. Ce sont des moustafidhines d'une coopérative
qui nous avaient parlé des pluies d'avril. Tout en rigolant, ils
nous avaient conté les déboires d'un colon venu s'installer dans la
région. Il avait semé du blé mais n'avait rien récolté. Dépîté
il avait alors écouté les fellahs. Ceux-ci lui avaient alors
expliqué que la récolte dépendait « d'april » sic. Si
les pluies d'avril n'étaient pas au rendez-vous alors il n'y avait
rien à récolter. Le colon aurait alors repris ses affaires et
aurait quitté la région en disant : « si la récolte
dépend d'avril, alors je renonce à cultiver».
Voilà que 100 ans après la
mésaventure de ce colon, le plus éminent des agronomes algériens
tient le même langage : «la saison agricole sera
principalement sauvée cette année surtout s'il y a au cours de ce
mois d'avril d'autres pluies ». En 100 ans, n'aurions nous
donc pas amélioré les techniques de culture du blé en conditions
non-irriguées ?
DES PROPOS ETONNANTS
Il est étonnant que Mr Fouad
Chehat tiennent ces propos. Si nous continuons dans son sens, la
logique voudrait que le Directeur de la Recherche Agronomique demande
à ce qu'on fasse donner dans les mosquées « salat
al-istiqat », la prière pour la pluie.
Certes, les ingénieurs
agronomes ne savent pas faire pleuvoir. Mais tout étudiant de
troisième année pourra vous parler de techniques de dry-farming.
Non pas la jachère travaillée développée par l'agriculture
coloniale, mais du non-labour avec semis-direct. Ce nouveau mode de
semis a fait l'objet, il y a quelques années d'un séminaire
international à Sétif. Des agronomes algériens travaillent déjà
depuis plus de dix ans sur cette technique. Et les ingénieurs
agronomes marocains ont accumulé une expérience de 20 ans.
L'entreprise publique CMA-SOLA de Sidi-Bel-Abbès vient même de
produire le premier semoir dédié au semis-direct. Ce même
semis-direct dont Mr Refoufi et ses fils ont construit de leur propre
initiative un prototype.
Le semis-direct qui a fait
l'objet au siège de l'ITGC, à quelques encablures du siège de
l'INRA, de plusieurs réunions avec des experts australiens afin de
développer cette technique. Réunions qui ont d'ailleurs aboutit au
prototype de CMA-SOLA. Non, Mr Fouad Chehat n'a jamais entendu parler
de cette technique. Etonnant...
LE SEMOIR « BOUDOUR »
DE CMA-SOLA, UN SEMOIR ANTI-SECHERESSE
Pourtant la technique du
non-labour avec semis-direct est une technique destinée aux zones
semi-arides. Elle fonctionne si bien, que plus de 80% des céréaliers
australiens l'ont adopté. En Syrie et Irak, là où avant 2012 les
experts australiens de l'ICARDA ont collaboré avec leurs homologues
locaux, ce sont plusieurs dizaines de milliers d'hectares qui sont
aujourd'hui menés en semis-direct.
L'expert marocain Rachid Mrabet
a montré que la charrue assèche le sol mais que semer avec un
semoir pour semis-direct permet de mieux conserver l'humidité du
sol.
Si le semis-direct reste confidentiel en Algérie, cela est dû à la non disponibilité des semoirs appropriés. Avec la production locale de ces semoirs "anti-sécheresse" low-cost, il y a une opportunité historique pour la céréaliculture nationale. En effet, ce type de semoir construit à Sidi-Bel-Abbès forme derrière chaque dent un sillon collecteur de pluie. Ce qui favorise la germination-levée (voir nos précédents articles)..
L'INRA A LA TRAINE ? UN MANQUE DE COORDINATION
En s'en remettant uniquement à
la pluie, le directeur de l'INRAA fait preuve de sa méconnaissance
du dossier céréales. A travers ce loupé du directeur de l'INRA, il
ne s'agit pas de se moquer d'un homme ou d'une institution. L'INRA
est engagé dans d'imminents dossiers comme la préservation des
variétés locales. Il s'agit ici uniquement de soulever nos
carences : le manque de circulation de l'information entre
scientifiques mais également entre scientifiques et opérateurs de
terrain.
Car le semis-direct n'est pas
une simple technique à ranger à côté de la panoplie des
techniques dont dispose l'agriculture moderne. Le semis-direct fait
partie de l'agriculture de conservation. A ce titre, il concerne de
nombreuses productions végétales : blé mais également
fourrages, légumes secs et oléagineux. C'est dire son importance.
Outre son rôle dans la
recherche, l'INRA a un rôle imminent : celui d'éclairer le
public notamment à travers les journalistes. Aussi, à l'avenir, il
s'agit de mettre à la disposition du public, via les médias, le
maximum d'informations susceptibles de faire comprendre à chaque
citoyen les enjeux de la production céréalières. En Syrie, avant
2012, même les écoliers étaient sensibilisés à cette nouvelle
technique.
A l'heure de la baisse de la
rente des hydrocarbures, il devient urgent de gagner en efficacité.
Un blé bien mené est moins dépendant des pluies d'avril. Il est
temps d'en prendre conscience. Même à l'INRA...
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