vendredi 11 mars 2016

ALGERIE : COLERE DE SELLAL, DEVELOPPEMENT AGRICOLE ET SEMIS DIRECT.

ALGERIE : COLERE DE MR SELLAL ET DEVELOPPEMENT AGRICOLE - SEMIS DIRECT, UN RETARD INQUIETANT EN ALGERIE ET AU MAGHREB.

Djamel BELAID 11.03.2016 djamel.belaid@ac-amiens.f
Semer du blé sans labourer le sol est une pratique révolutionnaire apparue depuis une bonne dizaine d'années au Maghreb. Il s'agit d'une technique particulièrement adaptée aux zones céréalières semi-arides. Alors que le semis direct (SD) se développe dans la plupart des pays confrontés à des sécheresses saisonnières, au Maghreb, il reste une pratique confidentielle. A qui la faute ?

SEMIS DIRECT, UNE TECHNIQUE POUR LES ZONES SEMI-ARIDES
Aux USA, le SD est apparu dans les années 40 au niveau des grandes plaines américaines. C'était après le dust-bowl, ce nuage causé par l'érosion éolienne suite à la pratique du labour. Des agriculteurs avaient alors cherché des solutions et tenté de semer du blé sans labourer le sol. Le développement des mauvaises herbes traditionnellement, en partie, éliminées par le labour avait quelque peu freiné cette innovation. Mais l'apparition des désherbants chimiques et notamment des désherbants totaux allait permettre l'essor du SD. Paysans et constructeurs de matériel agricole allaient alors contribuer à mettre au point des semoirs spécifiques.
Il y a une trentaine d'années, les Australiens ont redécouvert cette technique et l'ont adapté à leurs conditions. Entre temps, le Brésil devait lui aussi suivre cette dynamique.

SEMIS DIRECT, DES CHAMPIONS BRESILIENS ET AUSTRALIENS
Aujourd'hui 90% des agriculteurs australiens adoptent le SD. L'industrie locale produit le matériel adapté, notamment les célèbres semoirs SD John Shearer dont quelques exemplaires sont arrivés jusqu'en Algérie. Après des années de tâtonnements des semoirs SD - ou ZT pour Zero-Till dans le jargon anglo-saxon - sont largement disponibles. Ceux munis de dents créent tous les 17 cm, un sillon de 7-8 cm de profondeur dans le quel est placé la semence. Dès la première averse, le sillon ainsi tracé se transforme en un efficace collecteur d'eau de pluie. Les semences bénéficient ainsi des moindres pluies automnales. Par ailleurs une roue plombeuse tasse légèrement le sol au dessus de la graine. Le contact sol-graine étant renforcé, toute humidité du sol se transmet directement aux semences. Les céréaliers de nos wilayas de l'Ouest qui ont connu cette année une sécheresse automnale auraient certainement bien aimé bénéficier de ce type de matériel.

Au Brésil, face aux ravages de l'érosion sur des sols fragilisés par la déforestation, la seule alternative a été le SD. La pluviométrie étant favorable, les agriculteurs pratiquent même le semis direct sous couvert. Le soja est ainsi implanté sur un sol jonché de résidus de tiges de maïs laissé derrière les moissonneuses-batteuses. Parfois, comme en Europe, la culture peut être semée au sein d'une culture intermédiaire encore en place. Les Brésiliens ont également développé des semoirs spécifiques dont les célèbres Seméato dont les lourds disques crénelés peuvent cisailler les résidus de récolte au sol et sur un mince sillon de terre ainsi travaillée insérer les semences dans le sol. Celui-ci n'est plus perturbé comme dans le cas du labour. Intérêt, un gain de temps et de carburant. Rachid M'Rabet, spécialiste du SD à Settat (Maroc) et capitalisant plus de dix années de recherche que le SD a montré que cette technique économise l'humidité du sol.

Mais plus que des machines aptes à optimiser la culture des céréales en milieu sec, les semoirs pour SD permettent également de localiser les engrais au plus près des semences. Intérêt, les racines trouvent plus facilement les engrais phosphatés si peu mobiles dans le sol et si facilement insolubilisés par le calcaire du sol, parfois en moins de quelques semaines.

SYRIE, IRAK ET JORDANIE, FORT DEVELOPPEMENT DU SEMIS DIRECT
Face à de tels avantages, le SD ne pouvait pas être absent des recherches de l'ICARDA, ce centre international de recherches agricoles en milieu semi-aride. Basé jusqu'en 2011 à Alep (Syrie), le centre a accueilli dès 2005 une équipe d'experts australiens1 rodés à la technique du ZT. Dès leur arrivée, ces experts dirigés par Collin Piggin ont démarré des essais en intégrant à leur équipe des ingénieurs locaux. Ces essais ont été menés en station mais également chez des agriculteurs. Les Australiens avaient ramené avec eux leurs lourds semoirs SD et en ont testé d'autres : brésiliens, européens, indhous. Résultats, des semoirs SD certes intéressants mais trop chers ou trop fragiles pour ceux en provenance d'Inde. Avec l'aide de l'expert australien en machinisme, Jack Desbiolles, ils ont alors suggéré à des artisans locaux de fabriquer des semoirs SD en s'inspirant du semoir SD à dents John Shearer. 



Photo: L'infatigable Pr Jack Desbiolles en Asie. Remarquez le détail des roues plombeuses.

On admirera, au passage, ce transfert de technologie2. Les experts australiens n'ont pas essayé de vendre leur matériel. Les petits et moyens paysans de la région d'Alep n'avaient d'ailleurs pas les moyens de leur acheter.

Photo: Atelier irakien de transformation de semoir conventionnel en semoir SD. Remarquez le détails des dents et des roues plombeuses (il est aisé de fixer le kit sur une poutre à l'arrière du semoir).


Et le miracle s'est alors produit : pas moins de 8 ateliers ont été créés par des artisans syriens, puis 3 en Irak. En Jordanie, c'est un industriel privé, Rama Manufacture MFG3 qui s'est lancé dans la production de semoirs SD. 

Photo: Semoir jordanien de marque Rama. Remarquez les dents contre lesquelles sont fixées les tubulures de descente pour les semences et l'engrais. Remarquez aussi à l'arrière les roues plombeuses.
 
Le coût des engins fabriqués localement se situe autour de 2 500 $ soit moins de 5 fois celui en provenance des pays développés. Les ateliers syriens ont ainsi permis la fabrication de 92 semoirs avant que la guerre ne réduise leurs activités. Ces semoirs SD à dents sont de taille réduite et peuvent être tirés par les tracteurs disponibles localement. Une partie de ces semoirs a été exportée vers la Palestine et l'Algérie ; il en existe un au niveau de la station ITGC de Sétif.


Parlant des résultats et des potentialités syriennes, Collin Piggin déclare « In surveys of Syrian wheat farmers who had adopted ZT and early sowing, yields were increased by 465 kg/ha and net incomes were boosted by $US 194/ha on average. If 80% of wheat farmers growing the ≈1.7 million hectare wheat crop in Syria used ZT this would produce an extra 630,000 tonnes of wheat worth a bout $US 250 million per year ».
Des paysans Irakiens impatients de ne pas avoir de semoirs SD ont même transformé leur semoir conventionnel en semoir SD en important des pièces de Jordanie et de Turquie puis en les faisant fabriquer sur place. On peut comprendre leur impatience quand ayant été invités dès 2010 en Syrie par les équipes de Collin Piggin, ils ont découvert les progrès de leurs voisins syriens. ‘The financial benefits are also clear, one of these Syrian farmers of 1,200 ha, said he had saved $20,000 in cultivation costs and made an extra $240,000 as a result of the increased yield of his crop.’ explique le chef de mission australien.
L'Iran et la Turquie se sont également lancés dans la fabrication de semoirs SD.

MAGHREB, LE REGNE DES SEMOIRS SD IMPORTES
Et au Maghreb ? Au Maghreb, la tendance est à l'importation de gros semoirs brésiliens ou européens. En Tunisie, la société Cotugrains s'est ainsi spécialisée dans ce type d'importations. En Algérie et au Maroc plusieurs concessionnaires importent des semoirs SD ; des institutions publiques agricoles ou de grosses exploitations privées passent également directement des commandes aux constructeurs.
Car question SD, les grosses exploitations agricoles tunisiennes, marocaines ou algériennes ont vite flairé le filon. Nombreuses sont celles qui se sont ainsi équipées. Elles y trouvent un gain de temps, une baisse des coûts et une régularité des rendements. C'est à dire que même en année sèche, les rendements sont corrects étant donnée la valorisation de la moindre humidité du sol que permet ce type d'engins. Ce regain d'intérêt pour le SD a également été constaté dans le sud de l'Espagne et a même renforcé la tendance à l'agrandissement de la grande propriété foncière.
Au Maghreb, la question de l'équipement en moyens de SD des petites et moyennes exploitations reste entière. Il faut rapprocher cette question aux propos tenus en ce début mars à Annaba par le Premier Ministre algérien, Mr Sellal. Celui-ci s'est indigné en entendant citer les piètres performances locales en matière de production laitière. En effet, toute tentative de réduction des importations passe par la massification des productions agricoles; c'est à dire aussi sur les petites et moyennes exploitations. Celles-ci représentent, en effet, la plus grande partie des surfaces agricoles du pays.

 Photo: Les semoirs conventionnels de PMAT.dz inadaptés au contexte algérien.

MAGHREB, SEMOIRS SD QUE FAIRE ?
Que faire pour que, comme en Syrie, Irak et Jordanie, la pratique du SD se développe chez les petites et moyennes exploitations du Maghreb et que nous progressions vers plus d'autonomie alimentaire?
Le Pr Collin Piggin donne la clé de la réussite : « A key to the adoption has been the development and adaptation of farm machinery by local machinery manufacturers who have constructed various types of zero and low-till seeders with assistance from South Australian no-till machinery expert Jack Desbiolles of the University of Adelaide4. »
L'impatience légitime de Mr Sellal pour voir la production de céréales et de fourrages augmenter pourrait trouver une issue dans le développement de constructeurs privés. Ce qui différencie en effet, l'approche en matière de SD entre le Maghreb et le Machrek est là. Au Maghreb, à ce jour, il n'a pas été fait appel aux compétences locales en matière de fabrication de semoirs. Or, la technologie est relativement simple et les plans de construction sont mis en ligne par le Pr Jack Desbiolles5. Il ne manque qu'établir le lien entre ingénieurs agronomes locaux détenteurs de cette technologie, les éventuels constructeurs et les agriculteurs engagés dans une démarche d'intensification céréalière. A ce jour, seul le constructeur marocain AtMar s'est engagé dans ce type de démarche en collaboration avec l'Ecole d'Agronomie de Meknès et des ONG françaises (Afdi et Fert). Celles-ci ont proposé un modèle de semoir SD à disques en partant des conseils d'experts de l'ex-Cemagref.
Il est étonnant que des industriels privés tunisiens au dynamisme reconnu ou publics algériens, aux moyens reconnus, tel le groupe PMAT.dz, ne se soient pas engagés à ce jour dans ce type de production. Certes, l'expérience syro-iraquo-jordanienne est relativement récente. Pourtant la Turquie, où cette technologie est présente depuis plus longtemps, aurait pu inspirer ces constructeurs. Echec de leur cellule de veille technologique? En tout cas, désormais l'information est disponible. Il existe aujourd'hui des outils simples afin de cultiver à bas coût des céréales en milieu semi-aride. Ces engins, les semoirs SD issus de modèles australiens, permettent de résoudre trois problèmes : le travail du sol, le semis et la fertilisation dite de fonds.
En Algérie, en la matière, une structure se distingue par son dynamisme. Il s'agit de l'ITGC qui a reçu à plusieurs reprises le Pr Jack Desbiolles et qui développe des contacts avec des investisseurs locaux. On ne peut qu'espérer la réussite et l'élargissement de ces contacts.

A l'heure où, dans ses territoires les plus pauvres, comme à Gardane (Tunisie), le Maghreb est aujourd'hui menacé de destabilisation, il est plus que jamais urgent de se pencher sur tous les moyens afin de dynamiser l'agriculture. Les défis à venir militent pour plus de relations économiques inter-maghrébines. Les décideurs, mais aussi la société civile, dont les élites rurales, ont le devoir de se pencher sur les techniques qui ont fait leur preuve en matière d'augmentation de la production et de création d'emplois. Le semis direct fait partie de ces solutions.
Le comité Nobel s'honorerait à attribuer le prix Nobel de la Paix à l'Icarda avec mention spéciale à la poignée d'hommes qui ont oeuvré et oeuvrent encore contre la misère en Syrie, en Irak et en Jordanie.

1 Lire « Development, participatory extension and adoption of zero tillage–the case of Syria and Iraq 2005-14 » 1 Lire « Development, participatory extension and adoption of zero tillage–the case of Syria and Iraq 2005-14 »
http://www.agronomy2015.com.au/papers/plennary-piggin.pdf
Colin Piggin1, Stephen Loss2, Atef Haddad 3, Yaseen Khalil 4. International Center for Agricultural Research in the Dry Areas, P.O. Box 5466, Aleppo, Syria, www.icarda.org Present address/contact: 1 4 Francis Street, Yarralumla, ACT, 2600, Australia, c.piggin@gmail.com 2 GRDC, 4 National Circuit, Barton, ACT, 2600, stephenpeterloss@gmail.com 3 Lattakia, Syria,
atefhaddad1952@gmail.com 4 The University of Western Australia, 35 Stirling Highway, Crawley, WA 6009, 21454267@student.uwa.edu.au
2 Pour les Australiens, l'intérêt est ailleurs ; la participation à l'Icarda leur donne accès aux variétés de céréales et donc à une banque de gènes fondamentale pour le développement de leur agriculture.
3 www.ramajordan.com
4 ‘Taking no-till to the Middle East’, by Gregor Heard of Rural Press: http://sl.farmonline.com.au/news/nationalrural/gra…
5Voir sur google : « The practical implementation of conservation agriculture in the Middle East ».

1 commentaire:

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