ALGERIE :
COLERE DE MR SELLAL ET DEVELOPPEMENT AGRICOLE - SEMIS DIRECT, UN
RETARD INQUIETANT EN ALGERIE ET AU MAGHREB.
Djamel
BELAID 11.03.2016 djamel.belaid@ac-amiens.f
Semer
du blé sans labourer le sol est une pratique révolutionnaire
apparue depuis une bonne dizaine d'années au Maghreb. Il s'agit
d'une technique particulièrement adaptée aux zones céréalières
semi-arides. Alors que le semis direct (SD) se développe dans la
plupart des pays confrontés à des sécheresses saisonnières, au
Maghreb, il reste une pratique confidentielle. A qui la faute ?
SEMIS
DIRECT, UNE TECHNIQUE POUR LES ZONES SEMI-ARIDES
Aux
USA, le SD est apparu dans les années 40 au niveau des grandes
plaines américaines. C'était après le dust-bowl, ce nuage causé
par l'érosion éolienne suite à la pratique du labour. Des
agriculteurs avaient alors cherché des solutions et tenté de semer
du blé sans labourer le sol. Le développement des mauvaises herbes
traditionnellement, en partie, éliminées par le labour avait
quelque peu freiné cette innovation. Mais l'apparition des
désherbants chimiques et notamment des désherbants totaux allait
permettre l'essor du SD. Paysans et constructeurs de matériel
agricole allaient alors contribuer à mettre au point des semoirs
spécifiques.
Il
y a une trentaine d'années, les Australiens ont redécouvert cette
technique et l'ont adapté à leurs conditions. Entre temps, le
Brésil devait lui aussi suivre cette dynamique.
SEMIS
DIRECT, DES CHAMPIONS BRESILIENS ET AUSTRALIENS
Aujourd'hui
90% des agriculteurs australiens adoptent le SD. L'industrie locale
produit le matériel adapté, notamment les célèbres semoirs SD
John Shearer dont quelques exemplaires sont arrivés jusqu'en
Algérie. Après des années de tâtonnements des semoirs SD - ou ZT
pour Zero-Till dans le jargon anglo-saxon - sont largement
disponibles. Ceux munis de dents créent tous les 17 cm, un sillon de
7-8 cm de profondeur dans le quel est placé la semence. Dès la
première averse, le sillon ainsi tracé se transforme en un efficace
collecteur d'eau de pluie. Les semences bénéficient ainsi des
moindres pluies automnales. Par ailleurs une roue plombeuse tasse
légèrement le sol au dessus de la graine. Le contact sol-graine
étant renforcé, toute humidité du sol se transmet directement aux
semences. Les céréaliers de nos wilayas de l'Ouest qui ont connu
cette année une sécheresse automnale auraient certainement bien
aimé bénéficier de ce type de matériel.
Au
Brésil, face aux ravages de l'érosion sur des sols fragilisés par
la déforestation, la seule alternative a été le SD. La
pluviométrie étant favorable, les agriculteurs pratiquent même le
semis direct sous couvert. Le soja est ainsi implanté sur un sol
jonché de résidus de tiges de maïs laissé derrière les
moissonneuses-batteuses. Parfois, comme en Europe, la culture peut
être semée au sein d'une culture intermédiaire encore en place.
Les Brésiliens ont également développé des semoirs spécifiques
dont les célèbres Seméato dont les lourds disques crénelés
peuvent cisailler les résidus de récolte au sol et sur un mince
sillon de terre ainsi travaillée insérer les semences dans le sol.
Celui-ci n'est plus perturbé comme dans le cas du labour. Intérêt,
un gain de temps et de carburant. Rachid M'Rabet, spécialiste du SD
à Settat (Maroc) et capitalisant plus de dix années de recherche
que le SD a montré que cette technique économise l'humidité du
sol.
Mais
plus que des machines aptes à optimiser la culture des céréales en
milieu sec, les semoirs pour SD permettent également de localiser
les engrais au plus près des semences. Intérêt, les racines
trouvent plus facilement les engrais phosphatés si peu mobiles dans
le sol et si facilement insolubilisés par le calcaire du sol,
parfois en moins de quelques semaines.
SYRIE,
IRAK ET JORDANIE, FORT DEVELOPPEMENT DU SEMIS DIRECT
Face
à de tels avantages, le SD ne pouvait pas être absent des
recherches de l'ICARDA, ce centre international de recherches
agricoles en milieu semi-aride. Basé jusqu'en 2011 à Alep (Syrie),
le centre a accueilli dès 2005 une équipe d'experts australiens
rodés à la technique du ZT. Dès leur arrivée, ces experts dirigés
par Collin Piggin ont démarré des essais en intégrant à leur
équipe des ingénieurs locaux. Ces essais ont été menés en
station mais également chez des agriculteurs. Les Australiens
avaient ramené avec eux leurs lourds semoirs SD et en ont testé
d'autres : brésiliens, européens, indhous. Résultats, des semoirs
SD certes intéressants mais trop chers ou trop fragiles pour ceux en
provenance d'Inde. Avec l'aide de l'expert australien en machinisme,
Jack Desbiolles, ils ont alors suggéré à des artisans locaux de
fabriquer des semoirs SD en s'inspirant du semoir SD à dents John
Shearer.
Photo: L'infatigable Pr Jack Desbiolles en Asie. Remarquez le détail des roues plombeuses.
On admirera, au passage, ce transfert de technologie.
Les experts australiens n'ont pas essayé de vendre leur matériel.
Les petits et moyens paysans de la région d'Alep n'avaient
d'ailleurs pas les moyens de leur acheter.
Photo: Atelier irakien de transformation de semoir conventionnel en semoir SD. Remarquez le détails des dents et des roues plombeuses (il est aisé de fixer le kit sur une poutre à l'arrière du semoir).
Et
le miracle s'est alors produit : pas moins de 8 ateliers ont été
créés par des artisans syriens, puis 3 en Irak. En Jordanie, c'est
un industriel privé, Rama Manufacture MFG
qui s'est lancé dans la production de semoirs SD.
Photo: Semoir jordanien de marque Rama. Remarquez les dents contre lesquelles sont fixées les tubulures de descente pour les semences et l'engrais. Remarquez aussi à l'arrière les roues plombeuses.
Le coût des
engins fabriqués localement se situe autour de 2 500 $ soit moins de
5 fois celui en provenance des pays développés. Les ateliers
syriens ont ainsi permis la fabrication de 92 semoirs avant que la
guerre ne réduise leurs activités. Ces semoirs SD à dents sont de
taille réduite et peuvent être tirés par les tracteurs disponibles
localement. Une partie de ces semoirs a été exportée vers la
Palestine et l'Algérie ; il en existe un au niveau de la station
ITGC de Sétif.
Parlant
des résultats et des potentialités syriennes, Collin Piggin déclare
« In surveys of Syrian wheat farmers who had adopted ZT and early
sowing, yields were increased by 465 kg/ha and net incomes were
boosted by $US 194/ha on average. If 80% of wheat farmers growing the
≈1.7 million hectare wheat crop in Syria used ZT this would produce
an extra 630,000 tonnes of wheat worth a bout $US 250 million per
year ».
Des
paysans Irakiens impatients de ne pas avoir de semoirs SD ont même
transformé leur semoir conventionnel en semoir SD en important des
pièces de Jordanie et de Turquie puis en les faisant fabriquer sur
place. On peut comprendre leur impatience quand ayant été invités
dès 2010 en Syrie par les équipes de Collin Piggin, ils ont
découvert les progrès de leurs voisins syriens. ‘The financial
benefits are also clear, one of these Syrian farmers of 1,200 ha,
said he had saved $20,000 in cultivation costs and made an extra
$240,000 as a result of the increased yield of his crop.’
explique le chef de mission australien.
L'Iran
et la Turquie se sont également lancés dans la fabrication de
semoirs SD.
MAGHREB,
LE REGNE DES SEMOIRS SD IMPORTES
Et
au Maghreb ? Au Maghreb, la tendance est à l'importation de gros
semoirs brésiliens ou européens. En Tunisie, la société
Cotugrains s'est ainsi spécialisée dans ce type d'importations. En
Algérie et au Maroc plusieurs concessionnaires importent des semoirs
SD ; des institutions publiques agricoles ou de grosses
exploitations privées passent également directement des commandes
aux constructeurs.
Car
question SD, les grosses exploitations agricoles tunisiennes,
marocaines ou algériennes ont vite flairé le filon. Nombreuses sont
celles qui se sont ainsi équipées. Elles y trouvent un gain de
temps, une baisse des coûts et une régularité des rendements.
C'est à dire que même en année sèche, les rendements sont
corrects étant donnée la valorisation de la moindre humidité du sol
que permet ce type d'engins. Ce regain d'intérêt pour le SD a
également été constaté dans le sud de l'Espagne et a même
renforcé la tendance à l'agrandissement de la grande propriété
foncière.
Au
Maghreb, la question de l'équipement en moyens de SD des petites et
moyennes exploitations reste entière. Il faut rapprocher cette
question aux propos tenus en ce début mars à Annaba par le Premier
Ministre algérien, Mr Sellal. Celui-ci s'est indigné en entendant
citer les piètres performances locales en matière de production
laitière. En effet, toute tentative de réduction des importations
passe par la massification des productions agricoles; c'est à dire
aussi sur les petites et moyennes exploitations. Celles-ci
représentent, en effet, la plus grande partie des surfaces agricoles
du pays.
Photo: Les semoirs conventionnels de PMAT.dz inadaptés au contexte algérien.
MAGHREB,
SEMOIRS SD QUE FAIRE ?
Que
faire pour que, comme en Syrie, Irak et Jordanie, la pratique du SD
se développe chez les petites et moyennes exploitations du Maghreb
et que nous progressions vers plus d'autonomie alimentaire?
Le
Pr Collin Piggin donne la clé de la réussite : « A key to the
adoption has been the development and adaptation of farm machinery by
local machinery manufacturers who have constructed various types of
zero and low-till seeders with assistance from South Australian
no-till machinery expert Jack Desbiolles of the University of
Adelaide.
»
L'impatience
légitime de Mr Sellal pour voir la production de céréales et de
fourrages augmenter pourrait trouver une issue dans le développement
de constructeurs privés. Ce qui différencie en effet, l'approche en
matière de SD entre le Maghreb et le Machrek est là. Au Maghreb, à
ce jour, il n'a pas été fait appel aux compétences locales en
matière de fabrication de semoirs. Or, la technologie est
relativement simple et les plans de construction sont mis en ligne
par le Pr Jack Desbiolles.
Il ne manque qu'établir le lien entre ingénieurs agronomes locaux
détenteurs de cette technologie, les éventuels constructeurs et les
agriculteurs engagés dans une démarche d'intensification
céréalière. A ce jour, seul le constructeur marocain AtMar s'est
engagé dans ce type de démarche en collaboration avec l'Ecole
d'Agronomie de Meknès et des ONG françaises (Afdi et Fert).
Celles-ci ont proposé un modèle de semoir SD à disques en partant
des conseils d'experts de l'ex-Cemagref.
Il
est étonnant que des industriels privés tunisiens au dynamisme
reconnu ou publics algériens, aux moyens reconnus, tel le groupe
PMAT.dz, ne se soient pas engagés à ce jour dans ce type de
production. Certes, l'expérience syro-iraquo-jordanienne est
relativement récente. Pourtant la Turquie, où cette technologie est
présente depuis plus longtemps, aurait pu inspirer ces
constructeurs. Echec de leur cellule de veille technologique? En tout
cas, désormais l'information est disponible. Il existe aujourd'hui
des outils simples afin de cultiver à bas coût des céréales en
milieu semi-aride. Ces engins, les semoirs SD issus de modèles
australiens, permettent de résoudre trois problèmes : le travail du
sol, le semis et la fertilisation dite de fonds.
En
Algérie, en la matière, une structure se distingue par son
dynamisme. Il s'agit de l'ITGC qui a reçu à plusieurs reprises le
Pr Jack Desbiolles et qui développe des contacts avec des
investisseurs locaux. On ne peut qu'espérer la réussite et
l'élargissement de ces contacts.
A
l'heure où, dans ses territoires les plus pauvres, comme à Gardane
(Tunisie), le Maghreb est aujourd'hui menacé de destabilisation, il
est plus que jamais urgent de se pencher sur tous les moyens afin de
dynamiser l'agriculture. Les défis à venir militent pour plus de
relations économiques inter-maghrébines. Les décideurs, mais aussi
la société civile, dont les élites rurales, ont le devoir de se
pencher sur les techniques qui ont fait leur preuve en matière
d'augmentation de la production et de création d'emplois. Le semis
direct fait partie de ces solutions.
Le
comité Nobel s'honorerait à attribuer le prix Nobel de la Paix à
l'Icarda avec mention spéciale à la poignée d'hommes qui ont
oeuvré et oeuvrent encore contre la misère en Syrie, en Irak et en
Jordanie.