DEVELOPPEMENT
AGRICOLE
MALGRE
UNE VOLONTE DE BIEN FAIRE, LES INCOHERENCES DU MADR.
djam.bel@voila.fr
05.08.015
La
profession agricole semble avoir accueilli avec enthousiasme la
nomination le 25 juillet dernier de Mr Did-Ahmed Ferroukhi au poste
de Ministre de l'agriculture. Les premières déclarations et gestes
de ce dernier montrent une réelle volonté d'aller de l'avant.
Cependant, concernant le faible niveau de structuration du monde
paysan et sa plus grande implication dans la capacité à participer
à l'élaboration et à la mise en œuvre d'une politique de
développement agricole, il ne semble pas encore se dégager de ligne
d'action réellement novatrice. Que ce soit le nouveau titulaire du
poste, ses prédécesseurs ou les cadres des administrations centrale
et régionale, les tendances au centralisme administratif restent
profondément ancrées dans les esprits.
POMME DE
TERRE, PRIORITE AU STOCKAGE PRIVE
Lors de
son déplacement à Bouira en ce début de mois d'août le Ministre a
rencontré les producteurs de pomme de terre. Ces derniers se
plaignent d'une baisse des prix à la production. En effet, les
grossistes en mandataires proposent des prix moyens de 15 DA/kilo
contre le double en moyenne durant le ramadhan. Cette situation
s'explique également par l'arrivée sur le marché de la nouvelle
récolte. Le président de l'association locale des producteurs de
pommes de terre a même brandit le risque de faillite de nombre
d'exploitations face à cette situation.
Le
Ministre a donc indiqué que dorénavant les structures privées de
stockage seraient mobilisées afin d'assurer l'entière conservation
de la récolte en cette période de mévente. En période de crise,
on comprend que l'urgence est de trouver des solutions immédiates
aux problèmes des agriculteurs.
Cependant,
on peut regretter que le Ministre n'ait pas appelé les producteurs à
unir leurs forces afin de créer des groupements de producteurs et
investir dans des structures communes de stockage. Car, partout à
l'étranger, les agriculteurs investissent dans de telles
structures ; que ce soit pour les légumes, les fruits, le lait
ou les céréales.
PROSPECTIVE
ET ATONIE DU MADR
On aurait
pu s'attendre à ce que les cadres du MADR poussent dans ce sens. Or,
à notre connaissance, l'idée de telles structures de stockage et de
commercialisation semblent inconnue de nos décideurs.
Certes,
les cadres de l'INVA organisent des campagnes d'information sur les
groupements de producteurs, par exemple pour l'achat de matériel à
plusieurs exploitants. Mais à part ces actions, on ne remarque
aucune directive du MADR.
Nous
souhaitons être bien clair, il ne s'agit pas là de suggérer un
retour aux années 70 et de proposer à nouveau la constitution de
CAPRA et de CAPCS. Mais d'insuffler une dynamique locale pour la
constitution de grandes coopératives privées céréalières ou
d'élevage telles qu'elles existent par exemple en Europe dans des
économies libérales.
Ne pas
aider les producteurs algériens à se réunir sur la base d'une
libre initiative et d'une adhésion volontaire en groupements de
producteurs, c'est les laisser poings et pieds liés au secteur privé
local aux firmes agro-alimentaires et aux grosses coopératives
européennes dès qu'en 2020 l'accord d'association DZ-UE fera sauter
les barrières douanières. C'est à terme les mener à une mort
lente et à donc accélerer l'exode rural . Cela avec pour
corolaire pour les pouvoirs publics de devoir nourrir, à partir des
ports, des populations essentiellement urbaines.
A l'heure
de la mondialisation des échanges internationaux, les agriculteurs
algériens vont devoir affronter d'autres agriculteurs à la
productivité bien supérieure. Tout doit être fait afin de les y
préparer.
Concernant
le secteur privé local, agriculteurs et consommateurs ont pu tester
sa voracité. Plusieurs travaux d'agro-économistes montrent que les
subventions publiques au secteur agricole passent en définitive dans
leur escarcelle. Plus que jamais la voie des groupements de
producteurs apparaît donc comme un outil de sauvegarde des intérêts
du monde paysan et rural.
COMMERCIALISATION,
ATTENTION, DANGER
Comment
expliquer cette absence de vision à long terme des Décideurs du
MADR ? Il nous semble que cela est lié à un manque de culture
professionnelle et à une déconection par rapport aux réalités du
terrain. L'origine sociale de ces cadres peut également expliquer
cet état de fait.
Chose
plus grave, même à la tête de l'UNPA, la notion de groupements de
producteurs est inexistante. Cette notion est pratiquement
inexistante en Algérie, si ce n'est dans le monde universitaire qui
a consacrer un colloque à Blida ces dernières années.
Mais le
plus grave à nos yeux est le manque d'initiatives à la base. Car,
s'il est vrai que de tels groupements ne peuvent voir le jour et
prospérer que dans un environnement juridique et fiscal adapté,
c'est la demande de la base qui est le moteur essentiel. Dans
le cas français, la structuration du modèle coopératif agricole
s'est accompagné d'un syndicalisme paysan fort, de la formation de
cadres paysans dans des maisons rurales et s'est appuyé sur des
associations telles par exemple les Jeunesses Rurales Chrétiennes.
C'est
dire le terreau nécessaire à l'émergence à de tels groupements de
producteurs. Notons que ces groupements ou coopératives n'ont rien à
voir avec nos « coopératives » locales qui ne sont la
plupart du temps des antennes d'offices tel l'OAIC, concernant les
CCLS, ou des antennes des services agricoles. En Algérie, les
structures « coopératives » sont dévoyées, elles ne
correspondent pas au concept coopératif tel qu'il est admis au
niveau international.
MADR, UNE
ATTITUDE PATERNALISTE
Un autre
exemple est donné de l'attitude paternaliste des cadres du MADR vis
à vis du monde paysan. Ainsi, le 2 août dernier la presse nationale
note que « M. Ferroukhi a indiqué à cet effet que
le ministère instruira les wilayas, les comités et les
chambres d'agriculture pour faire participer les agriculteurs
aux débats pour qu'ils puissent exposer leurs
préoccupations ».
Chacun a
bien lu, des instructions pour faire « participer les
agriculteurs aux débats ». L'intention est louable. La
question est de savoir à quel moment de la prise de décision les
agriculteurs seront associés. Trop souvent jusqu'à présent le
principe de subsidiarité est resté inconnu des cadres du MADR. Dans
une démarche de subsidiarité active, l'essentiel consiste dans le
processus de mise en place de solutions et non pas dans la
reproduction systèmatique de modèles.
Comme le
note Denis Pommier1
« Une association, un groupement, une coopérative, une
mutuelle , sont des outils entre les mains de leurs membres pour
résoudre leurs problèmes. Ce sont eux qui doivent poser les
questions... et qui doivent chercher les réponses. Ce n'est qu'une
fois, et une fois seulement que les questions et les réponses sont
posées que l'Etat peut intervenir utilement pour appuyer les projets
des agriculteurs et non pas exiger des agriculteurs de participer à
des projets planifiés par les ministères ».
Souvent
des programmes de développement sont mis au point dans les bureaux
climatisés du Ministère puis ensuite, le monde rural est convié
pour dire « amen ». Afin d'arriver à un développement
authentique, la logique des choses voudrait que le monde paysan soit
convié en amont pour participer à la rédaction des projets.
La même
démarche existe en matière de vulgarisation agricole. Celle-ci est
souvent de type « top-down » et se manifeste par des
« caravanes » de techniciens qui sillonent les campagnes.
Si l'intention est louable, rien ne remplace l'enquête culture2
ou enregistrement de performances de type « bottom-up »
qui permet d'approfondir les itinéraires techniques sur la base des
données propres aux agriculteurs d'une petite région. « Dans
la pratique, l'un des mécanismes les plus efficients pour la
recherche de solution techniques et la diffusion durable de ces
innovations a été l'échange horizontal et la coopération entre
les agriculteurs eux-mêmes3 ».
GROUPEMENTS
DE PRODUCTEURS , S'APPUYER SUR LES ELITES RURALES
En
Algérie, dans le cas du stockage de leurs produits, les agriculteurs
et notamment les producteurs de pomme de terre n'ont de perspectives
qu'entre le centralisme administratif des services agricoles et des
antennes d'offices ou des structures privées. Or, il existe une
autre voie, celle du stockage au niveau de groupements de
producteurs. Chacune de ses formes d'organisation doit avoir sa place
dans l'économie locale. Le MADR se doit ce se préoccuper de cet
équilibre.
Cet
exemple illustre les schémas anciens ancrés dans les esprits des
cadres mais aussi du monde paysan.
Tout
agent de développement agricole, quelque soit sa position, doit
avoir en tête que la performance de l'agriculture ne dépend pas
uniquement de la capacité d'action des institutions publiques.
Certes, celles-ci ont une part déterminante dans la fixation des
prix. Mais ces performances dépendent avant tout des agriculteurs et
surtout de leur capacité à se mobiliser, à s'organiser et à
investir . C'est à dire du degré de confiance qu'ils peuvent
accorder à des institutions qu'ils auront eux mêmes créés :
associations professionnelles, syndicats agricoles, groupements de
producteurs.
Aussi,
les agents de développement du MADR se doivent de rechercher les
structures paysannes et rurales qui émergent depuis ces dernières
années suite à la promulgation d'une loi sur la liberté
d'association. Ces structures sont des éléments essentiels dans
toute politique de développement. De même que des résultats
insuffisants doivent être analysés à la lumière du niveau de leur
participation .
Oublier
la possibilité de futurs groupements de producteurs, c'est continuer
à livrer au marché des producteurs sans aucune protection et
pouvoir de négociation par rapport à l'amont et l'aval. Or, les
lois du marché sont impitoyables face à des paysans inorganisés.
Les producteurs de pomme de terre et de lait en sont un exemple.
Certes une telle démarche ne se fera pas du jour au lendemain.
Cependant, c'est la seule voie garantissant les intérêts du monde
paysan. De tels groupements ont leur place dans une économie régit
par les lois du marché. Il ne s'agit nullement d'aller contre ces
lois.
L'expérience
de l'agriculture européenne montre que la participation active des
agriculteurs dans la définition des politiques agricoles est un
préalable déterminant de la pertinence et de leur justesse comme
elle est également un moyen indispensable pour leur réelle mise en
application sur le terrain. Dans leur volonté de bien faire, les
cadres du MADR se doivent de réfléchir à se principe. On peut se
féliciter à ce propos de la volonté de concertation exprimée par
M Ferroukhi lors de sa récente rencontre avec l'UNPA.
Face à
ce manque de vision stratégique de bon nombre de cadres, c'est aux
producteurs les plus conscients à s'organiser. Parmi ces producteurs
existent des agri-managers paysans ou issus des instituts
agronomiques. Dans l'environnement des producteurs existent également
des élites rurales : fonctionnaires à la retraite, diplômés
sans emploi, élus d'associations locales, agents d'administrations
locales, partisans du patriotisme économique. C'est à eux, en
partenariat avec les producteurs, à imaginer des structures
permettant la valorisation locale des produits agricoles afin de
défendre les marges des producteurs et de créer une dynamique de
circuit courts, voire de transformation seule à même de créer de
l'emploi.
Ces
dernières années, le développement de fêtes de la cerise, de
l'abricot, du miel et d'autres productions spécifiques à un terroir
démontre l'émergence des forces sociales existant dans les
campagnes. A ces forces là de se fédérer afin de créer un nouveau
rapport de force par rapport aux grossistes et transformateurs.
1Denis
Pommier 2009 Relever le défi du développement agricole et rural.
Options Méditerranéennes, B 64. Perspectives des politiques
agricoles en Afrique du Nord. Ciheam.213-220.
2Voir
nos précédents articles sur ce sujet.
3Denis
Pommier Op. Cit.
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