mardi 3 novembre 2015

RECHERCHE-DEVELOPPEMENT EN ELEVAGE, MISER PLUS SUR L'INTERDISCIPLINARITE

RECHERCHE-DEVELOPPEMENT EN ELEVAGE, MISER PLUS SUR L'INTERDISCIPLINARITE
Djamel BELAID 1er Nov 2015
Le manque d'autonomie fourragère met en difficulté l'élevage bovin laitier local et plus particulièrement les étables en hors-sol. Pour produire plus de fourrages des solutions techniques et économiques existent. Cependant, les différents services agricoles et universitaires concernés travaillent chacun de façon isolée. Pour résoudre la pénurie de fourrages, des efforts coordonnés devraient être fournis. Six axes nous semblent prioritaires.

1-MIEUX UTILISER LA JACHERE PATUREE GRACE AU SEMIS DIRECT
En Algérie, une partie des 7 000 000 d'hectares des zones semi-arides sont consacrés à la jachère pâturée. Les moutons broutent la végétation naturelle qui pousse sur le sol. Il s'agit d'un système de cueillette. C'est là une façon de faire identique à celle de l'époque de l'Emir Abdelkader. La population locale ne comptait alors que quelque millions de personnes. Or, il s'agit actuellement de nourrir 38 000 000 d'habitants1. L'idéal serait donc que les animaux broutent non pas une végétation naturelle clairsemée et parfois peu appétente mais des fourrages sélectionnés pour leur aptitude à pousser dans un milieu semi-aride et à la valeur alimentaire élevée.
On peut se demander pourquoi les terres en jachère ne sont pas semées de ces fourrages plus productifs ? A cela trois explications :
  • les éleveurs ne sont pas forcément les propriétaires des pâtures,
  • les propriétaires n'ont pas les moyens de traction afin de travailler et de semer en automne leurs parcelles de blé au rendement aléatoire et celles en jachère. Ils ne connaissent pas l'usage du semis direct.
  • Les semences de graminées fourragères sont peu connues et nécessitent pour germer un lit de semences impeccable (remarquons que les crucifères fourragères possèdent une meilleure faculté d'implantation, même en sol grossiérement préparé).

Mesure pratique à prendre : Adopter un mécanisme simple et peu onéreux de « sursemis2 » des jachères pâturées. Pour cela, il s'agit d'importer puis de construire localement des semoirs fourragers pour semis direct de type « GrassFarmer » de la marque Aitchison. Une autre solution est de proposer des sursemis à la volée3 en utilisant des appareils simples de préparation du sol, telle des herses.

Grass Farmer 1414 - YouTube

https://www.youtube.com/watch?v=plIp8DTJFKM
25 févr. 2010 - Ajouté par simclarke

2-INTRODUIRE DE NOUVELLES VARIETES FOURRAGERES
L'analyse des fourrages et des modes de récolte des fourrages montrent un manque criant de diversité. En matière de fourrages, les espèces les plus utilisées concernent principalement la vesce, l'avoine4, la luzerne, le bersim et le sorgho. Le marché des semences fourragères est tendu du fait de l'absence d'un réseau solide de multiplicateurs. C'est le cas en particulier des semences d'avoine.
Des espèces telles les graminées fourragères ou les crucifères sont pratiquement absentes des calendriers fouragers. Or, il s'agit pourtant d'espèces dont la production de semences est la plus aisée à mettre en œuvre. En effet, ces espèces possèdent un port dressé contrairement au port rampant de certaines légumineuses5.
Mesure pratique à prendre : Importer des semences de crucifères et développer la production locale de ce type de semences (dont le colza fourrager) et de graminées fourragères.

Les formes de récolte des fourrages concerne essentiellement le foin. L'ensilage, l'enrubannage et le pâturage d'espèces fourragères sont peu développés.

Mesure pratique à prendre : Importer et produire localement des ensileuses. Il s'agit d'outils au mécanisme relativement simple. Une ensileuse coupe l'herbe telle une tondeuse à gazon, mais possède en plus un mécanisme permettant d'envoyer le fourrage coupé dans une remorque.
3-DEVELOPPER LES GROUPEMENTS DE PRODUCTEURS
En Algérie, le mot « coopérative » est dévoyé. Il n'est pas utilisé dans son sens véritable. De ce fait, les agriculteurs se détournent de ce type d'organisation trop souvent marquées par le dirigisme administratif. Or, des coopératives d'approvisionnement ou de valorisation des productions avec un capital paysan et un directeur recruté par les sociétaires eux-même est un gage de progrès certain.
Actuellement les spéculateurs en fourrages, son et aliments du bétail rognent les marges des éleveurs laitiers. Face à cette situation, les ateliers laitiers les plus fragiles décapitalisent, ils vendent à l'abattoir leurs vaches laitières.
Afin de favoriser la création de groupements d'éleveurs, les pouvoirs publics pourraient agir par des gestes forts perçus immédiatement par le public concerné.
Mesure pratique à prendre :
-affecter un poste bugétaire pour recruter un technicien en production fourragère et un technicien vétérinaire à tout groupement d'éleveurs.
-attribuer un avantage fiscal ou économique (voire dotation de quota de lait en poudre) à toute laiterie émanant d'un groupement d'éleveurs.

4-DEVELOPPER LA CONTRACTUALISATION
Les pouvoirs publics font face à une demande croissante de produits agricoles. Or, les agriculteurs se font grignoter leur marge par l'amont et l'aval. La création de GIE, de groupements de coopérateurs et/ou de réelles coopératives permettraient de protéger ces marges. Etant donné le retard en la matière, une solution plus rapide6 serait de développer la contractualisation.

La contractualisation consiste en le passage d'un accord entre agriculteur et entreprise agro-alimentaire. Elle avance aux agriculteurs les moyens de produire (fonds, semences, engrais, …), assure un appui technique et en retour leur achète leur production à un prix convenu.

L'avantage est que ce n'est plus aux pouvoirs publics d'essayer d'organiser la production. Cette tâche est confiée aux filières. Au Maroc, le groupe français Avril a été chargé de produire de l'huile à partir de graines oléagineuses produites localement par contractualisation. « Pour emporter l'affaire, Avril s'est engagé à mettre sur pied une filière oléagineuse sur place, depuis la semence pour laquelle il apporte des conseils jusqu'à la fabrication de l'huile de table, de savon et de produits dérivés7 ». Les autorités marocaines ont même accordé un financement de plusieurs millions de Dirhams à ce groupe.

ENCADRE : Le Maroc veut réduire sa dépendance au soja importé
27 mai 2015 ANA Julie Chaudier.
Au Maroc, l’agrégation est un concept très utilisé dans le secteur de l’agriculture qui compte un nombre considérable de petits producteurs et donc de petites productions quasi-artisanales. Le plus gros industriel de transformation ou le plus gros producteur prend en charge le rôle d’agrégateur : moyennant un soutien financier de l’Etat, il coordonne les producteurs, les soutient, leur fournit assistance technique, annonce le prix fixe en début de campagne (…). La culture du tournesol présente un intérêt pour les agriculteurs, car elle permet d’alterner avec les céréales pour ne pas épuiser les sols. « D’autres cultures, comme le maïs peuvent faire de même, mais elles n’offrent pas un marché stable, contrairement au tournesol, car dans le cadre du contrat programme nous annonçons un prix unique en début de campagne, ainsi qu’une assistance technique et l’approvisionnement en semences, engrais … Bien sûr, ce sont les agriculteurs qui paient. On leur assure également l’achat des récoltes sur champs et ils sont payés dans les 48 heures », explique Abdelali Zaz. En contrepartie de son rôle d’agrégateur, Lesieur Cristal a reçu des subventions pour ses investissements. Sur 148 millions de dirhams investis, près de 20 millions ont été offerts par l’Etat.

La contractualisation existe déjà au niveau de certaines laiteries. Laiterie Soummam aide ses éleveurs à enrubanner leur fourrage, la mini-laiterie de Bassatine (Chélif) assure des soins vétérinaires gratuits aux éleveurs, la laiterie Djamous prend en charge les procédures administratives des éleveurs. Afin de garantir son approvisionnement la laiterie Wanis possède même deux fermes avec 100 vaches laitières. C'est dire le lien existant entre producteur et transformateur. Chacun ayant besoin de l'autre. En installant une unité de bétail la laiterie de Bassatine approvisionne prioritairement les éleveurs qui lui fournissent du lait, celle-ci les fidèlise et les rassure. Elle leur offre même des facilité de paiement.

Mesure pratique à prendre : Grâce à un mécanisme fiscal ou économique, généraliser à toute laiterie et fabrique d'aliments de bétail la mise en place d'un appui technique (phytotechniquen zootechnique et vétérinaire) aux éleveurs du bassin de collecte. Dans le cas des fabricants d'aliments de bétail, le service technique peut être également déployé vers les agriculteurs producteurs d'orge, féverole, pois et maïs approvisionnant l'usine.

5-PERMETTRE UNE RECHERCHE AGRONOMIQUE ADAPTEE AUX QUESTIONS DE TERRAIN
On s'apperçoit que pas mal d'innovations techniques ne proviennent pas des instituts techniques du MADR mais d'initiatives d'agriculteurs et de firmes agro-alimentaires.
Exemples :
-semis automatique en serre puis plantation mécanisée de la tomate industrielle,
-enrubannage des fourrages, développement des pierres à lécher, abreuvement automatique dans les étables,
-petits pivots d'irrigation (utilisés à El-Oued).

Certes, les services agricoles ont fait connaître ces dernières années un fourrage tel le sorgho et ses possibilités d'irrigation grâce à des kits d'aspersion. Mais, hors irrigation, c'est à dire sur les plus grandes surfaces, il n'y a pas d'avancée significative. De nombreux résultats de la recherche agronomique locale restent inexploités. C'est le cas de l'utilisation de l'urée mélangé à l'orge en grain ou des pailles traitées à l'urée. Idem, concernant la technique de fabrication de blocs multi-nutritionnels.

Mesure pratique à prendre : Le Ministre de l'agriculture pourrait ordonner la présence au sein des conseils d'administration dans tous les instituts techniques et stations agronomiques sous sa tutelle, de représentants des différentes filières agricoles. La même solution devraient être prise au niveau conseils scientifiques des universités en y faisant participer les élus des fillières économiques locales.
Une autre solution peut consister à la mise en place de subventions publiques au profit des sociétés privées réalisant de la recherche agronomique. Au lieu de financer des postes de chercheurs publics dont les résultats restent dans des tiroirs, les pouvoirs publics pourraient transférer au secteur privé une partie de ces crédits de recherche.

6-STATUT FONCIER
Plusieurs études montrent que des attributaires des EAI et EAC louent partiellement ou totalement leurs terres. Conséquences, les locataires n'ont pas de statut officiel et ne peuvent bénéficier des services agricoles et bancaires.

Mesure pratique à prendre : Autoriser, sous réserve de paiement d'un impôt, le droit à la location de terre par les attributaires. Il s'agit de définir un droit de fermage par région selon la qualité du sol et les possibilités locales d'irrigation.
CONCLUSION
Des solutions techniques existent. Mais pour cela, il faut que :
-nos ingénieurs agronomes se renseignent sur ce qui se fait à l'étranger8 ; il faudrait pour cela qu'ils aient plus accès à des revues agricoles pratiques de base et aux voyages d'études de terrain (exploitations, coopératives, sociétés de transformation, …).
-nos ingénieurs agronomes spécialisés en élevage ruminant, volaille, en culture des céréales, en culture fourragères, en machnisme, en sociologie rurale DIALOGUENT ENTRE EUX. Actuellement, chacun semble isolé dans une tour d'ivoire et aborde les questions par « le petit bout de sa lorgnette ». Le spécialiste en fourrage connait bien les espèces fourragères de légumineuses mais pratiquement pas les crucifères. Le spécialiste en machinisme ne sait pas que pour le phytotechnicien, le semoir direct fourrager est un outil primordial. Le phytotechnicien ne connaît pas toujours les impératifs socio-économiques analysés par l'agro-économiste et qui poussent l'éleveur à continuer à perpétuer un système de cueillette (jachère pâturée) totalement dépassé et d'un autre âge.
Il y a là certainement un problème de communication et de formation continue. Sur le terrain, des clusters peuvent permettre de réunir autour d'une table tout ce petit monde.

Des solutions socio-économiques existent : dynamisation d'une réelle coopération agricole, développement de la contractualisation, réforme du statut foncier avec légalisation du droit au fermage, intégration des industriels de la filière dans la recherche agronomique. Parmi toutes ces voies, la contractualisation est particulièrement intéressante dans la mesure où des résultats rapides peuvent être obtenus. Dans le cas des laiteries du Chéliff, on assiste même à un début d'intégration verticale. Par ailleurs, la contractualisation peut permettre l'utilisation d'une expertise étrangère comme dans le cas du contrat entre SIM et Sanders.
C'est au Ministre-Agronome9 chargé du MADR à prendre les décisions nécessaires. Pour cela, il doit s'appuyer sur un staff technique compétent assurant une veille technologique permanente.

Enfin, de leurs côtés, agriculteurs et dirigeants des sociétés en amont et aval du secteur doivent s'entendre sur le moyen de se partager équitablement la rente liée aux produits de l'élevage. Faute de quoi, la pérenité de la filière lait ne sera pas assurée. Ne restera plus que l'importation de lait en poudre ou faire comme nos aînés dans leur jeunesse : le matin, tremper des figues sèches et du pain dans de l'huile d'olives...
1A la population locale, il s'agit de tenir compte de la contrebande aux frontières qui amplifie la demande locale. A cela rajoutons une immigration sud-saharienne qui ne fera que s'amplifier les années à venir.
2Le sursemis consiste à semer des espèces fourragères sans labourer une parcelle de terre.
3Un semis à la volée peut être réalisé par un épandeur de gfranulé anti-limaces disposé sur une herse ou un quad.
4L'avoine est une espèce particulièrement prisée du fait de sa facilité de germination même lorsque le lit de semnces est grossier.
5A noter l'expérience de la société constantinoise Axium qui produit des semences de vesce en utilisant comme tuteur de la féverole.
6La coopération agricole doit être bâti grâce à des élites paysannes et rurales. Les incessantes réformes agricoles depuis l'indépendance ont gêné l'émergence et la consolidation de ces élites. Mais, elles se développent malgré tout.
7 « Avril crée une filière huile au Maroc avec Lesieur Cristal » Marie-Josée Cougard - Les Echos | Le 27/05/2015
8A notre connaissance, l'enrubannage des fourrages n'est pas une méthode qui a été fait connaître par la recherche agronomique locale, mais par un groupe d'investisseurs.
9Pour la première fois de son histoire l'Algérie a un ministre de l'Agriculture issu du corps des agronomes et qui est issu des cadres du Ministère.

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