RECHERCHE-DEVELOPPEMENT
EN ELEVAGE, MISER PLUS SUR L'INTERDISCIPLINARITE
Djamel
BELAID 1er Nov 2015
Le
manque d'autonomie fourragère met en difficulté l'élevage bovin
laitier local et plus particulièrement les étables en hors-sol.
Pour produire plus de fourrages des solutions techniques et
économiques existent. Cependant, les différents services agricoles
et universitaires concernés travaillent chacun de façon isolée.
Pour résoudre la pénurie de fourrages, des efforts coordonnés
devraient être fournis. Six axes nous semblent prioritaires.
1-MIEUX
UTILISER LA JACHERE PATUREE GRACE AU SEMIS DIRECT
En
Algérie, une partie des 7 000 000 d'hectares des zones semi-arides
sont consacrés à la jachère pâturée. Les moutons broutent la
végétation naturelle qui pousse sur le sol. Il s'agit d'un système
de cueillette. C'est là une façon de faire identique à celle de
l'époque de l'Emir Abdelkader. La population locale ne comptait
alors que quelque millions de personnes. Or, il s'agit actuellement
de nourrir 38 000 000 d'habitants1.
L'idéal serait donc que les animaux broutent non pas une végétation
naturelle clairsemée et parfois peu appétente mais des fourrages
sélectionnés pour leur aptitude à pousser dans un milieu
semi-aride et à la valeur alimentaire élevée.
On
peut se demander pourquoi les terres en jachère ne sont pas semées
de ces fourrages plus productifs ? A cela trois explications :
- les éleveurs ne sont pas forcément les propriétaires des pâtures,
- les propriétaires n'ont pas les moyens de traction afin de travailler et de semer en automne leurs parcelles de blé au rendement aléatoire et celles en jachère. Ils ne connaissent pas l'usage du semis direct.
- Les semences de graminées fourragères sont peu connues et nécessitent pour germer un lit de semences impeccable (remarquons que les crucifères fourragères possèdent une meilleure faculté d'implantation, même en sol grossiérement préparé).
Mesure
pratique à prendre : Adopter un mécanisme simple et peu
onéreux de « sursemis2 »
des jachères pâturées. Pour cela, il s'agit d'importer puis de
construire localement des semoirs fourragers pour semis direct de
type « GrassFarmer » de la marque Aitchison. Une autre
solution est de proposer des sursemis à la volée3
en utilisant des appareils simples de préparation du sol, telle des
herses.
Grass Farmer 1414 - YouTube
https://www.youtube.com/watch?v=plIp8DTJFKM
25 févr. 2010 - Ajouté par simclarke
2-INTRODUIRE
DE NOUVELLES VARIETES FOURRAGERES
L'analyse
des fourrages et des modes de récolte des fourrages montrent un
manque criant de diversité. En matière de fourrages, les espèces
les plus utilisées concernent principalement la vesce, l'avoine4,
la luzerne, le bersim et le sorgho. Le marché des semences
fourragères est tendu du fait de l'absence d'un réseau solide de
multiplicateurs. C'est le cas en particulier des semences d'avoine.
Des
espèces telles les graminées fourragères ou les crucifères sont
pratiquement absentes des calendriers fouragers. Or, il s'agit
pourtant d'espèces dont la production de semences est la plus aisée
à mettre en œuvre. En effet, ces espèces possèdent un port dressé
contrairement au port rampant de certaines légumineuses5.
Mesure
pratique à prendre : Importer des semences de crucifères
et développer la production locale de ce type de semences (dont le
colza fourrager) et de graminées fourragères.
Les
formes de récolte des fourrages concerne essentiellement le foin.
L'ensilage, l'enrubannage et le pâturage d'espèces fourragères
sont peu développés.
Mesure
pratique à prendre : Importer et produire localement des
ensileuses. Il s'agit d'outils au mécanisme relativement simple. Une
ensileuse coupe l'herbe telle une tondeuse à gazon, mais possède en
plus un mécanisme permettant d'envoyer le fourrage coupé dans une
remorque.
3-DEVELOPPER
LES GROUPEMENTS DE PRODUCTEURS
En
Algérie, le mot « coopérative » est dévoyé. Il n'est
pas utilisé dans son sens véritable. De ce fait, les agriculteurs
se détournent de ce type d'organisation trop souvent marquées par
le dirigisme administratif. Or, des coopératives d'approvisionnement
ou de valorisation des productions avec un capital paysan et un
directeur recruté par les sociétaires eux-même est un gage de
progrès certain.
Actuellement
les spéculateurs en fourrages, son et aliments du bétail rognent
les marges des éleveurs laitiers. Face à cette situation, les
ateliers laitiers les plus fragiles décapitalisent, ils vendent à
l'abattoir leurs vaches laitières.
Afin
de favoriser la création de groupements d'éleveurs, les pouvoirs
publics pourraient agir par des gestes forts perçus immédiatement
par le public concerné.
Mesure
pratique à prendre :
-affecter
un poste bugétaire pour recruter un technicien en production
fourragère et un technicien vétérinaire à tout groupement
d'éleveurs.
-attribuer
un avantage fiscal ou économique (voire dotation de quota de lait en
poudre) à toute laiterie émanant d'un groupement d'éleveurs.
4-DEVELOPPER
LA CONTRACTUALISATION
Les
pouvoirs publics font face à une demande croissante de produits
agricoles. Or, les agriculteurs se font grignoter leur marge par
l'amont et l'aval. La création de GIE, de groupements de
coopérateurs et/ou de réelles coopératives permettraient de
protéger ces marges. Etant donné le retard en la matière, une
solution plus rapide6
serait de développer la contractualisation.
La
contractualisation consiste en le passage d'un accord entre
agriculteur et entreprise agro-alimentaire. Elle avance aux
agriculteurs les moyens de produire (fonds, semences, engrais, …),
assure un appui technique et en retour leur achète leur production à
un prix convenu.
L'avantage
est que ce n'est plus aux pouvoirs publics d'essayer d'organiser la
production. Cette tâche est confiée aux filières. Au Maroc, le
groupe français Avril a été chargé de produire de l'huile à
partir de graines oléagineuses produites localement par
contractualisation. « Pour emporter l'affaire, Avril s'est
engagé à mettre sur pied une filière oléagineuse sur place,
depuis la semence pour laquelle il apporte des conseils jusqu'à la
fabrication de l'huile de table, de savon et de produits dérivés7 ».
Les autorités marocaines ont même accordé un financement de
plusieurs millions de Dirhams à ce groupe.
ENCADRE :
Le Maroc veut réduire sa dépendance au soja importé
27
mai 2015 ANA Julie Chaudier.
Au
Maroc, l’agrégation est un concept très utilisé dans le secteur
de l’agriculture qui compte un nombre considérable de petits
producteurs et donc de petites productions quasi-artisanales. Le plus
gros industriel de transformation ou le plus gros producteur prend en
charge le rôle d’agrégateur : moyennant un soutien financier de
l’Etat, il coordonne les producteurs, les soutient, leur fournit
assistance technique, annonce le prix fixe en début de campagne (…).
La culture du tournesol présente un intérêt pour les agriculteurs,
car elle permet d’alterner avec les céréales pour ne pas épuiser
les sols. « D’autres cultures, comme le maïs peuvent faire de
même, mais elles n’offrent pas un marché stable, contrairement au
tournesol, car dans le cadre du contrat programme nous annonçons un
prix unique en début de campagne, ainsi qu’une assistance
technique et l’approvisionnement en semences, engrais … Bien sûr,
ce sont les agriculteurs qui paient. On leur assure également
l’achat des récoltes sur champs et ils sont payés dans les 48
heures », explique Abdelali Zaz. En contrepartie de son rôle
d’agrégateur, Lesieur Cristal a reçu des subventions pour
ses investissements. Sur 148 millions de dirhams investis, près de
20 millions ont été offerts par l’Etat.
La
contractualisation existe déjà au niveau de certaines laiteries.
Laiterie Soummam aide ses éleveurs à enrubanner leur fourrage, la
mini-laiterie de Bassatine (Chélif) assure des soins vétérinaires
gratuits aux éleveurs, la laiterie Djamous prend en charge les
procédures administratives des éleveurs. Afin de garantir son
approvisionnement la laiterie Wanis possède même deux fermes avec
100 vaches laitières. C'est dire le lien existant entre producteur
et transformateur. Chacun ayant besoin de l'autre. En installant une
unité de bétail la laiterie de Bassatine approvisionne
prioritairement les éleveurs qui lui fournissent du lait, celle-ci
les fidèlise et les rassure. Elle leur offre même des facilité de
paiement.
Mesure
pratique à prendre : Grâce à un mécanisme fiscal ou
économique, généraliser à toute laiterie et fabrique d'aliments
de bétail la mise en place d'un appui technique (phytotechniquen
zootechnique et vétérinaire) aux éleveurs du bassin de collecte.
Dans le cas des fabricants d'aliments de bétail, le service
technique peut être également déployé vers les agriculteurs
producteurs d'orge, féverole, pois et maïs approvisionnant l'usine.
5-PERMETTRE
UNE RECHERCHE AGRONOMIQUE ADAPTEE AUX QUESTIONS DE TERRAIN
On
s'apperçoit que pas mal d'innovations techniques ne proviennent pas
des instituts techniques du MADR mais d'initiatives d'agriculteurs et
de firmes agro-alimentaires.
Exemples :
-semis
automatique en serre puis plantation mécanisée de la tomate
industrielle,
-enrubannage
des fourrages, développement des pierres à lécher, abreuvement
automatique dans les étables,
-petits
pivots d'irrigation (utilisés à El-Oued).
Certes,
les services agricoles ont fait connaître ces dernières années un
fourrage tel le sorgho et ses possibilités d'irrigation grâce à
des kits d'aspersion. Mais, hors irrigation, c'est à dire sur les
plus grandes surfaces, il n'y a pas d'avancée significative. De
nombreux résultats de la recherche agronomique locale restent
inexploités. C'est le cas de l'utilisation de l'urée mélangé à
l'orge en grain ou des pailles traitées à l'urée. Idem, concernant
la technique de fabrication de blocs multi-nutritionnels.
Mesure
pratique à prendre : Le Ministre de l'agriculture pourrait
ordonner la présence au sein des conseils d'administration dans tous
les instituts techniques et stations agronomiques sous sa tutelle, de
représentants des différentes filières agricoles. La même
solution devraient être prise au niveau conseils scientifiques des
universités en y faisant participer les élus des fillières
économiques locales.
Une
autre solution peut consister à la mise en place de subventions
publiques au profit des sociétés privées réalisant de la
recherche agronomique. Au lieu de financer des postes de chercheurs
publics dont les résultats restent dans des tiroirs, les pouvoirs
publics pourraient transférer au secteur privé une partie de ces
crédits de recherche.
6-STATUT
FONCIER
Plusieurs
études montrent que des attributaires des EAI et EAC louent
partiellement ou totalement leurs terres. Conséquences, les
locataires n'ont pas de statut officiel et ne peuvent bénéficier
des services agricoles et bancaires.
Mesure
pratique à prendre : Autoriser, sous réserve de paiement
d'un impôt, le droit à la location de terre par les attributaires.
Il s'agit de définir un droit de fermage par région selon la
qualité du sol et les possibilités locales d'irrigation.
CONCLUSION
Des
solutions techniques existent. Mais pour cela, il faut que :
-nos
ingénieurs agronomes se renseignent sur ce qui se fait à
l'étranger8 ;
il faudrait pour cela qu'ils aient plus accès à des revues
agricoles pratiques de base et aux voyages d'études de terrain
(exploitations, coopératives, sociétés de transformation, …).
-nos
ingénieurs agronomes spécialisés en élevage ruminant, volaille,
en culture des céréales, en culture fourragères, en machnisme, en
sociologie rurale DIALOGUENT ENTRE EUX. Actuellement, chacun semble
isolé dans une tour d'ivoire et aborde les questions par « le
petit bout de sa lorgnette ». Le spécialiste en fourrage
connait bien les espèces fourragères de légumineuses mais
pratiquement pas les crucifères. Le spécialiste en machinisme ne
sait pas que pour le phytotechnicien, le semoir direct fourrager est
un outil primordial. Le phytotechnicien ne connaît pas toujours les
impératifs socio-économiques analysés par l'agro-économiste et
qui poussent l'éleveur à continuer à perpétuer un système de
cueillette (jachère pâturée) totalement dépassé et d'un autre
âge.
Il
y a là certainement un problème de communication et de formation
continue. Sur le terrain, des clusters peuvent permettre de réunir
autour d'une table tout ce petit monde.
Des
solutions socio-économiques existent : dynamisation d'une
réelle coopération agricole, développement de la
contractualisation, réforme du statut foncier avec légalisation du
droit au fermage, intégration des industriels de la filière dans la
recherche agronomique. Parmi toutes ces voies, la contractualisation
est particulièrement intéressante dans la mesure où des résultats
rapides peuvent être obtenus. Dans le cas des laiteries du Chéliff,
on assiste même à un début d'intégration verticale. Par ailleurs,
la contractualisation peut permettre l'utilisation d'une expertise
étrangère comme dans le cas du contrat entre SIM et Sanders.
C'est
au Ministre-Agronome9
chargé du MADR à prendre les décisions nécessaires. Pour cela, il
doit s'appuyer sur un staff technique compétent assurant une veille
technologique permanente.
Enfin,
de leurs côtés, agriculteurs et dirigeants des sociétés en amont
et aval du secteur doivent s'entendre sur le moyen de se partager
équitablement la rente liée aux produits de l'élevage. Faute de
quoi, la pérenité de la filière lait ne sera pas assurée. Ne
restera plus que l'importation de lait en poudre ou faire comme nos
aînés dans leur jeunesse : le matin, tremper des figues sèches
et du pain dans de l'huile d'olives...
1A
la population locale, il s'agit de tenir compte de la contrebande
aux frontières qui amplifie la demande locale. A cela rajoutons une
immigration sud-saharienne qui ne fera que s'amplifier les années à
venir.
2Le
sursemis consiste à semer des espèces fourragères sans labourer
une parcelle de terre.
3Un
semis à la volée peut être réalisé par un épandeur de gfranulé
anti-limaces disposé sur une herse ou un quad.
4L'avoine
est une espèce particulièrement prisée du fait de sa facilité de
germination même lorsque le lit de semnces est grossier.
5A
noter l'expérience de la société constantinoise Axium qui produit
des semences de vesce en utilisant comme tuteur de la féverole.
6La
coopération agricole doit être bâti grâce à des élites
paysannes et rurales. Les incessantes réformes agricoles depuis
l'indépendance ont gêné l'émergence et la consolidation de ces
élites. Mais, elles se développent malgré tout.
7
« Avril crée une filière
huile au Maroc avec Lesieur Cristal » Marie-Josée Cougard -
Les Echos | Le 27/05/2015
8A
notre connaissance, l'enrubannage des fourrages n'est pas une
méthode qui a été fait connaître par la recherche agronomique
locale, mais par un groupe d'investisseurs.
9Pour
la première fois de son histoire l'Algérie a un ministre de
l'Agriculture issu du corps des agronomes et qui est issu des cadres
du Ministère.
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