vendredi 20 novembre 2015
ALGÉRIE : recherche agronomique, une armée sans état-major.
ALGÉRIE : recherche agronomique, une armée sans état-major.
Djamel BELAID 20.11.2015
En Algérie, le niveau de la recherche agronomique connait un essor considérable. A la moindre annonce de colloque, les organisateurs sont débordés par le nombre de propositions de communications reçues. Pour autant, à l'heure de restrictions budgétaires, cette recherche est-elle actuellement profitable au développement agricole local?
EN ALGERIE, TOUT LE MONDE CHERCHE...
Un universitaire qui a récemment contribué à organiser un colloque raconte : « j'ai consacré mes vacances [d'été] pour ce séminaire, j'ai répondu à plus de 260 personnes ». Ce chiffre est remarquable. Il témoigne à lui seul de la vitalité de la recherche agronomique locale. L'explication vient du fait que le nombre d'enseignants-chercheurs a augmenté en même temps que s'ouvrait des centres universitaires. Ces derniers couvrent actuellement pratiquement toutes les wilayas du pays. Mais qui veut comprendre ce résultat se doit de considérer l'effort en matière de scolarisation depuis plus de 20 ans. Les générations scolarisées dans les années 70 peuplent actuellement les centres de recherche universitaires1.
Jeter un coup d'oeil à l'origine géographique des communications proposées au-dit colloque montre la diversité des centres de recherche : El-Tarf, Naama, Ouargla, M'sila, Batna, Khémis-Milliana, Tiaret… etc.
Cette recherche agronomique peut constituer une force de frappe extraordinaire au service du développement agricole d'un pays dont les importations alimentaires annuelles se chiffrent en millions de dollars.
UN CONSTAT : UNE RECHERCHE AVANT TOUT UNIVERSITAIRE
En compilant les publications agronomiques produites, il apparaît que cette recherche est avant tout universitaire. Non pas que les services agricoles n'aient pas de recherche propre et que les chercheurs sous l'égide du MADR ne publient pas, mais la task force se situe dans les centres universitaires. A travers ses instituts techniques et leurs stations de recherche, le MADR développe ses propres axes de recherche. Il existe également une porosité entre ces deux institutions. Ainsi, les chercheurs de ces stations proviennent de l'université et bon nombre d'universitaires viennent dans ces mêmes stations à des fins d'expérimentation.
Par ailleurs, l'avancement des enseignants à l'université passe par un minimum de recherche et de publications. Cela peut également expliquer la prépondérance des publications de ce secteur.
RECHERCHE FONDAMENTALE OU APPLIQUEE ?
Une analyse exhaustive serait à dresser quant au nombre de publications. Elle serait d'autant plus intéressante si elle était rapportée aux catégories de produits alimentaires les plus importées.
Nous abordons là une question qui peut fâcher. Quelle doit être le rôle de la recherche ? Doit-elle être fondamentale ou appliquée ? Nous ne trancherons pas aujourd'hui cet éternel débat. La recherche fondamentale est en effet … fondamentale. Ce ne sont pas les fabricants de bougies qui ont créé l'ampoule électrique. Mais force est de constater qu'un pays qui consacre des sommes de plus en plus élevées pour nourrir sa population se doit de mobiliser toutes les compétences scientifiques afin de réduire cette hémorragie. D'autant plus que cette manne financière qui est liée à la rente des hydrocarbures n'est pas éternelle et que notre jeunesse réclame des emplois.
UNE DISPERSION DE MOYENS?
En l'absence d'un inventaire exhaustif de l'orientation des publications agronomiques, procédons autrement afin de vérifier s'il existe une cohérence entre l'effort de recherche agronomique et le besoin légitime de sécurité alimentaire.
Prenons le cas des plantes oléagineuses : colza, tournesol, carthame. Combien d'articles sont-ils consacrés à ces productions susceptibles de concourir à l'approvisionnement en matière de corps gras de nos concitoyens. Pour nous être intéressé à la question, nous pouvons répondre qu'un nombre insignifiant d'articles est actuellement consacré à ce domaine2. Pourtant, à part l'huile d'olive, aucun gramme, vous lisez bien, aucun gramme d'huile consommé en Algérie n'est produit localement par les usines de Cevital ou celles des autres groupes huiliers opérant en Algérie3. La même remarque est valable concernant les plantes sucrières (betterave, canne à sucre4).
Nous ne donnerons pas d'exemples de recherche qui nous semblent éloignées des préoccupations immédiate des besoins de notre agriculture. Nous ne voulons pas nous brouiller avec des collègues et institutions amies. Néanmoins, la lecture de certains titres de communications, d'articles ou de mémoire de fin d'études ou de magistère font sourire. N'insistez pas, nous ne livrerons aucun nom... Nous nous interrogeons donc à l'apport au pays de certains de ces thèmes de recherche. Certes, les fabricants de bougies... mais, l'urgence liée à la chute de la rente des hydrocarbures est à notre porte. Nous comptons des milliers de jeunes chômeurs et les cas rapportés de pauvreté de la population augmentent.
DES UNIVERSITAIRES ISOLES DANS LEURS LABORATOIRES
Certes tout n'est pas noir. Ainsi des chercheuses et chercheurs de l'université de Bab-Ezzouar travaillant sur des techniques de pointe telles que les cultures in-vitro permettent de diagnostiquer très tôt les plants de palmier-dattier atteint par le terrible fléau du bayoudh. Des chercheurs de l'université de Tiaret ont établi la liste des parasites intestinaux qui frappent les ovins. Ces parasites freinent l'efficacité alimentaire d'élevages qui peinent à trouver suffisamment de ressources fourragères. A Sétif, un groupe d'enseignants s'est penchés sur les moyens d'améliorer les rendements céréaliers en utilisant la technique du semis direct. Les résultats de leur recherche permet d'envisager de meilleurs rendements, particulièrement en année sèche du fait d'une meilleur gestion de l'eau du sol, tout en réduisant de 40% les dépenses en carburant des tracteurs.
Au centre universitaire de Batna, la technique de l'enrichissement de la paille en urée a été testé localement sur des brebis. Ce thème à été initié dès la fin des années 70 à l'ENSA (ex-INA) d'El-Harrach. A la question de la vulgarisation sur le terrain dans une région où le déficit en fourrages est fort, une des auteurs de l'étude explique « j'en ais parlé à deux agriculteurs et à un centre de formation agricole voisin ».
POUR UN ETAT-MAJOR DE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE?
On le voit, nos chercheurs, cherchent et trouvent. Mais souvent leurs résultats ornent les rayons des bibliothèques universitaires. Il nous semble que si les explications sont nombreuses afin de répondre à cet état de fait, dont le sous-développement5 dont nous sortons progressivement, cela est également lié au fait qu'il n'existe pas en Algérie de programme national de recherche agronomique ou du moins qu'un tel programme n'est pas établi en collaboration avec l'Université algérienne. Souvent les thèmes de recherche proviennent des chercheurs eux-mêmes, de leurs lectures, des moyens dont ils disposent ou de directeurs de recherche basés à … l'étranger6. Cette situation si elle peut être intéressante pour une acquisition de connaissances, n'aboutit à rien dans le court terme, dans la mesure où les résultats obtenus ne feront pas l'objet d'applications de terrain.
Pour le Pr Slimane Bedrani7, le manque de relations entre l'institution agricole et la recherche universitaire explique la non prise en considération des résultats obtenus par les enseignants-chercheurs. La solution à ce manque de collaboration entre université et MADR serait d'ouvrir le conseil scientifique de l'INRA au monde universitaire. Ce pourrait être l'INRA qui décide de l'attribution des primes de recherche actuellement versées par le MESRS aux universitaires. Ce financement par l'institution agricole de programmes de recherche prioritaires serait un moyen d'attirer le maximum d'équipes vers les sujets prioritaires. L'INRA devrait arriver alors au degré de compétence et de dynamisme nécessaire à assurer la reconnaissance par tous de ce rôle d'arbitre.
PRIVATISER EN PARTIE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE ?
Jusqu'ici, en Algérie, la recherche agronomique a été pensée uniquement en termes de laboratoires publics. A l'heure où en Algérie, de grands groupes agro-industriels et de petites entreprises émergent, ne s'agit-il pas de favoriser également la recherche dans ce type de structures ? Le système de la contractualisation entre agro-industriels et producteurs constitue un outil puissant de progrès agricole. La forme d'un financement public partiel mais incitatif de la recherche privée pourrait consister en un « impôt recherche » à l'image de ce qui existe à l'étranger et notamment en France. Dans les entreprises françaises engageant des efforts de recherche-développement, les sommes allouées à la recherche font l'objet de déductions fiscales, voire de subventions publiques. Ce serait là un moyen pour la puissance publique d'orienter recrutement des chercheurs et recherche vers des applications directement utiles à l'économie du pays.
Ainsi, quand le Groupe Benamor multiplie par 3 les rendements de la tomate industrielle grâce au recours à la mécanisation des semis, du repiquage des plants puis de la récolte, ne devrait-il pas recevoir des subventions ? Lorsque Mr Benelbedjaoui, le dynamique PDG de la société agricole Axium, relance à Constantine la production de lentille et de semences de légumineuses fourragères grâce à un procédé original, ne devrait-il pas recevoir une aide financière, matérielle ou humaine ? Idem concernant le groupe Profert qui innove en matière d'engrais plus adaptés à la spécificité de nos sols. Combien sont-ils également ces anonymes qui comme Rachid Ibersiène a initié la fabrication de fromage à Tamaâssit (wilaya de Tizi Ouzou) ou qui à El Oued ont créé pour l'irrigation des rampes pivots et dans la région de Biskra ont créé des systèmes de régulateurs de pression sous forme de château d'eau métalliques pour réguler la pression d'eau dans les systèmes de goutte-à-goutte. Parfois avec de simples fûts en plastique ils ont mis au point des dispositifs rustiques de fertigation. Plus organisés que ces petits agriculteurs, citons le cas d'entreprises telles Djoudi Métal qui produit du matériel pour des ateliers d'aliment du bétail ou de la Sarl Cuisinox Algérie qui produit des tanks à lait réfrigérés. Les exemples d'innovation en amont, et en aval ou dans les champs sont légion. N'est ce pas à eux que devrait également aller le financement de la recherche ?
RECHERCHE AGRONOMIQUE L'AGE DE LA MATURITE
Il apparaît qu'en Algérie, la recherche agronomique a connu ces dernières années un fort développement. Ce développement est lié à l'abnégation de jeunes équipes se dépensant sans compter et à l'effort sans précédant des pouvoirs publics. A l'heure de restrictions financières et d'une maturité de ce secteur, il nous semble que plus de coordination doit exister entre l'université et le secteur agricole et agro-alimentaire. Cette recherche d'une efficience accrue peut, par exemple, passer par la réallocation des budgets de recherche sous tutelle de l'INRA sous réserve que cette institution s'ouvre au monde universitaire. Par ailleurs, alors que le secteur agricole a connu un « effacement des dettes » indifférencié et quelque peu contestable dans certains cas, ceux qui innovent en milieu agricole en Algérie sont actuellement ignorés. Ne faudrait-il pas les encourager afin que la recherche agronomique et agro-alimentaire locale puisse aujourd'hui pleinement contribuer à l'effort de sécurité alimentaire et de pleine emploi de la Nation?
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