La moisson meurtrière.
Par Marie de Greef-Madelin
Hebdomadaire : Valeurs Actuelles. 29 Juillet 2016
Les fortes pluies des derniers mois
ont altéré la qualité des blés. Par endroits, les épis sont
vides de grains. Photo © Alamy
Blé. Du jamais-vu depuis 1976. Les
prix sont au plus bas et les rendements catastrophiques. Après les
éleveurs et les maraîchers, les céréaliers sont à terre.
Reportage en Picardie.
C’est un moment crucial. Dans ce
village de Guignicourt, aux confins des départements de l’Aisne,
de la Marne et des Ardennes, où se succèdent des fermes et de longs
hangars, Olivier Dauger monte dans sa moissonneuse-batteuse flambant
neuve. Il l’a acquise l’an dernier en copropriété avec un autre
fermier pour remplacer deux vieilles machines. Un bijou
technologique, d’une valeur de 250 000 euros, capable de battre 3
hectares à l'heure et qui, avec son GPS et son ordinateur de bord,
possède un système de guidage automatique. Mais, au lieu de se
réjouir, le paysan a la mine défaite. Il sait que la moisson 2016
sera catastrophique.
« Ma pire année depuis que j'ai
repris la ferme de mon père, en 1994. J'espère un rendement de 60 à
70 quintaux de blé contre 100 l'an dernier », se désole celui
qui vient de fêter son 50éme anniversaire. A la tête d'une
exploitation de 220 ha de bonnes terres, Olivier Dauger, qui est
aussi Président de la Chambre d'Agriculture de l'Aisne, a pour la
première fois le sentiment qu'il a mangé son pain blanc, que « le
blé, ça eu payé mais ça ne paie plus ».
Dans un premier temps, la M-B s'élance
majestueusement. De grosses lames d'acier soulèvent les épis
souvent couchés au sol, dont les tiges ont plié en juin sous
l'excès d'eau.
[Il est à remarquer que ce
phénomène de verse est accentué par une mauvaise gestion des doses
d'aote à apporter. La réalisation de reliquats azotés en sortie
hiver permet de viser la dose adéquate. Puis, manifestement
l'agriculture a choisi des variétés à très haut potentiel de
rendement et donc à paille relativement haute. Viser un fort
rendement a aussi impliqué une trop forte densité au semis. Ndlr
Djamel Belaid. ]
« Ca fait mal ; c'est le
travail d'une année », se désole le chef de culture.
Impossible de faucher dans les deux sens comme à l'habitude tant les
tiges sont couchées, la puissante batteuses, avec sa caméra, ses
calculs de rotation et de broyage, trace des rectangles pour
optimiser au mieux la moisson. Au loin, une parcelle ne sera même
pas battue. Elle appartient à un paysan du village voisin qui,
plutôt que de renouveler son matériel agricole, aurait voulu
confier sa moisson à une entreprise spécialisée. Seulement, les
coûts facturés sont supérieurs au rendement espéré... alors
l'agriculteur préfère laisser son blé sur pied.
Une récolte épouvantable épouvantable
due à un excès d'eau au printemps, au moment de la fécondation et
de la sortie des fleurs, associé à la fusariose. Ce champignon,
impossible à traiter en raison de la fréquence des pluies, a altéré
la qualité des grains. Il suffit de cueillir et de fouetter un épi :
là où habituellement, on compte une vingtaine de grains, l'épi
n'en présente que cinq exploitables. Les autres sont « moches »,
atrophiés, voire inexistants. Non seulement les rendements seront
très bas, mais il va falloir trier la marchandise : les grains
bons pour la meunerie et les autres, les grains à poule, vendus à
la casse. De fait, les coûts de production des céréaliers risquent
de s'envoler, de l'ordre de 50% selon les prévisions de la société
de conseil Ofre et Demande Agricole (ODA).
De retour dans les bureaux, l'ambiance
est déprimante aussi. Sur les écrans, voilà l'espoir dune année
ruiné. « Quand on vous dit que les agriculteurs râlent tout
le temps et par tous les temps, mais regardez les prix ! »
lâche Olivier Dauger. L'an dernier, 40% des céréaliers ont
enregistré un revenu négatif. Cette année, ce sera pire. Entrés
dans une spirale baissière en 2014, les cours ont diminué de 30%
depuis janvier. Ils se situent à 130 euros la tonne de blé pour la
nouvelle récolte. « On vendait 210 euros la tonne en 2012,
cela fait 40% de moins cette année », ajoute Xavier Dauger, le
père d'Olivier, qui a consacré sa vie à l'agriculture.
L'avenir
est sombre : les prix devraient rester bas jusqu'en 2020, selon
le dernier rapport Cyclope de l'économiste Philippe Chalmin. En
cause, la chute des prix du maïs, qui entraîne l'ensemble des
céréales dans son sillage, et les records d'exportation de blé
réalisés par la Russie (24,5 milions de tonnes) et l'Ukraine (17,35
millions de tonnes), nos concurrents directs.
Cette
situation catastrophique, Olivier Dauger la partage avec les
administrateurs de la FNSEA, premier syndicat agricole, dont il fait
partie, et avec son président, Xavier Beulin. Bien conscient de la
réalité, ce dernier, qui préside le groupe Avril et gère en
famille une exploitation de 500 hectares dans le Loiret, est touché
de plein fouet, comme tous les céréaliers. A proximité d'Orléans,
si les champs de blé semblent beaux, les épis sont parfois vides.
« Le
Ministre de l'Agriculture, Stéphan Le Foll, voudrait nous faire
croire que la production de blé reculera
de
seulement 10% cette année en France, à 37 millions de tonnes. Mais
la réalité sera bien pire » pronostique O Dauger. Dans le
croissant riche de la Picardie et de la Beauce, le déficit
atteindrait 50%. Sur les comptes Twitter, les premières estimations
de rendement défilent avec une expression qui revient en boucle :
« ça fait peur... » Dans ces régions, aucune autre
production – escourgeon, colza, pois... - ne viendra compenser le
déficit de blé. Pour le pois de printemps, il manquerait 2 tonnes à
l'hectare pour assurer des marges bénéficiaires.
L'ensemble
des cultures est touché par la chute des prix, qui ne couvrent plus
les coûts de production. « Après deux années difficiles,
c'est le coup de massue pour les céréalier : leurs charges
seront deux fois supérieures à leurs recettes », pronostique
Renaud de Kerpoisson, chez Offre et Demande agricole. Du jamais-vu
depuis la grande sécheresse de 1976. Le calcul est rapide : sur
la base d'un prix de vente de 140 euros la tonne, le chiffres
d'affaire d'un céréalier se situera entre 700 et 900 euros
l'hectare. Or, il lui faudrait dégager le double, selon ODA, pour
amortir ses coûts de production (estimés à 165 euros la tonne avec
une production de 8 tonnes l'hectare, soit 1320 euros). Impossible
donc pour un paysan de se payer et même de régler ses dettes.
Or, de nombreux céréaliers ont profité des années fastes, notamment 2012 et 2011, pour réaliser de gros investissements : achat de machines à crédit, mise aux normes ou financement de nouvelles technologies. Beaucoup se retrouvent aujourd'hui dans l'incapacité de rembourser leurs annuités. D'autant que les aides européennes de la PAC, décidées jusqu'en 2020, sont en net repli pour les surfaces en céréales et oléo-protéagineux (Scop). « Je vais perdre 150 euros d'aide à l'hectare d'ici à trois ans ; cette année ce sera 60 euros de moins, sioit 15000 euros de manque à gagner dans le bilan de ma ferme confie Olivier Dauger.
Or, de nombreux céréaliers ont profité des années fastes, notamment 2012 et 2011, pour réaliser de gros investissements : achat de machines à crédit, mise aux normes ou financement de nouvelles technologies. Beaucoup se retrouvent aujourd'hui dans l'incapacité de rembourser leurs annuités. D'autant que les aides européennes de la PAC, décidées jusqu'en 2020, sont en net repli pour les surfaces en céréales et oléo-protéagineux (Scop). « Je vais perdre 150 euros d'aide à l'hectare d'ici à trois ans ; cette année ce sera 60 euros de moins, sioit 15000 euros de manque à gagner dans le bilan de ma ferme confie Olivier Dauger.
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