lundi 30 mai 2016

Tipaza, Amar Adjili, un bénévole écolo



Amar Adjili. Bénévole écolo
(Un très bel article d'El Watan sur ces citoyens Algériens qui luttent contre la pollution. On ne peut réussir en agriculture sans une lutte contre ce fléau [risque de métaux lourds, nitrates et pesticides dans les nappes phréatiques]. Ce que fait ce citoyen algérien est à la portée de tous. Chacun peut installer dans son jardin, sa cours, sa terrasse ou en pied d'immeubles un bac à compost de biodéchets. D BELAID).

Je continuerai à nettoyer les plages jusqu’à ce que la pollution s’arrête




le 27.05.16 El Watan


L’Algérie vue du ciel, ce n’est pas l’Algérie vue d’en bas. Que doit-on répondre ensuite aux touristes qui viennent, attirés par le documentaire de Yann Arthus Bertrand ?

Seul, Amar Adjili a nettoyé les plages de Chenoua pendant près de deux mois en ramassant les déchets. Après la publication d’une vidéo où il montre la dégradation du complexe touristique de Matarès, il a été agressé et intimidé.

- Pourquoi avez-vous décidé de nettoyer les plages de Chenoua (Tipasa) ?

J’avais l’habitude de nettoyer les sites naturels, quels qu’ils soient, et dans ma voiture j’ai toujours des sacs poubelle. Au mois d’avril 2015, je suis allé sur la plage de Chenoua avec mon frère et mon neveu de 4 ans. Il y avait des ordures tout autour de nous et mon neveu m’a demandé : «pourquoi c’est sale ?». Je n’ai pas su quoi lui répondre. Je pensais que quelque chose allait être fait parce que nous étions sur une plage. Un an plus tard, je suis de retour sur cette plage et c’est encore plus sale. Face à mon étonnement, les habitants de Tipasa me répondaient : «c’est comme ça».

Un matin, j’ai croisé deux touristes sur la plage qui m’ont demandé pour quelle raison le littoral était si pollué, je n’ai pas su quoi répondre. L’Algérie vue du ciel, ce n’est pas l’Algérie vue d’en bas. Je suis très en colère contre Yann Arthus Bertrand, qui ne descend pas de son avion. Ce documentaire sur l’Algérie était fait pour favoriser le tourisme. Que doit-on répondre ensuite aux touristes qui viennent, attirés par ce reportage ?


- Comment avez-vous commencé ?

J’ai commencé par acheter des gants et des sacs en plastique, puis je suis parti du site des ruines de Tipasa, en me dirigeant vers le Grand bleu. Au bout de 20 jours, des personnes présentes sur la plage venaient me dire : «C’est bien ce que vous faites», mais personne ne venait m’aider. Un jour, près de Chenoua, j’ai trouvé un petit bout de plage propre. Là, j’ai rencontré Ratiba, une dame formidable, qui m’a proposé de m’aider tous les jours et qui m’a invité à prendre mes repas chez elle. Au bout de 3 semaines, j’ai commencé à raconter ce que je faisais sur Facebook. Je voyais que mes amis réagissaient.

Le bouche à oreille a fonctionné et le nombre de mes contacts sur Facebook a explosé. J’ai reçu de nombreux encouragements. J’espérais alors que le déclic allait arriver, que les gens viendraient et qu’on pourrait arrêter la pollution dans le pays. A ce moment-là, pendant les week-ends, d’autres personnes m’ont rejoint pour ramasser les déchets grâce à l’organisation sur les réseaux sociaux. Si on est plus nombreux, c’est bien.


- Quels types de déchets avez-vous trouvés sur ces plages ?

J’ai ramassé des emballages qui dataient de 2008. Il y a beaucoup de déchets ménagers, des bouteilles et des sacs en plastique, des bouchons, des assiettes en plastique dégradées qui sont prises dans les algues, mais aussi des hameçons, des piles électriques, des boîtes de conserve et du fil de nylon utilisé par les pêcheurs. Un jour, au bord de l’eau, j’ai ramassé un sac avec deux poissons vivants coincés à l’intérieur. Il y a régulièrement des pièces automobiles, de l’huile de vidange, mais aussi des couches pour bébés enfouies dans le sable. Ces couches décomposées contiennent un gel qui doit être très polluant, voire cancérigène.

J’ai trouvé des sous-vêtements, des tables de camping. Un week-end, alors que nous ramassions les ordures, un camion est arrivé près du Grand Bleu et s’apprêtait à déposer un tas de gravats sur la plage. Il y a des polluants, mais aussi du béton et de la céramique. Quand je l’ai vu, j’ai crié et il m’a répondu : «Laisse-moi tranquille !» Lorsque je lui ai dit que j’allais appeler la police et que je l’ai pris en photo avec mon téléphone, il est parti en courant.


- Pourquoi avez-vous décidé de filmer les ordures à l’intérieur du complexe touristique de Matarès ?

Je suis entré dans ce complexe parce que j’ai trouvé des rats morts sur la plage, juste à la hauteur du bâtiment. A l’intérieur de ce dernier, j’ai constaté qu’il y avait des rats vivants. On ne peut pas accepter ça alors que des enfants se baignent dans cette plage. J’ai filmé les ordures en décomposition entassées là dans des sacs. A mon avis, c’est la société de nettoyage qui a laissé ces sacs dans le complexe au lieu de les emmener à la déchetterie. Ces ordures ne sont pas le fait de gens qui squattent.

- Il y a une semaine, après la publication de votre vidéo, vous avez été agressé par des vigiles du complexe. Que s’est-il passé ?

Vendredi dernier, nous étions neuf personnes à ramasser les déchets sur la plage de Matarès. Un vigile est arrivé pour me proposer des sacs poubelles supplémentaires et m’annoncer que le lendemain il viendrait avec «une super équipe» pour nous aider. Le lendemain, il y avait effectivement beaucoup de monde sur la plage pour nettoyer.

Alors que je m’apprêtais à faire une photo dans le complexe de Matarès, je vois un groupe s’approcher de moi, c’étaient des gens bien habillés qui se sont présentés comme étant des responsables et qui m’ont lancé : «Vous devez quitter les lieux, cette plage est privée, vous n’avez rien à faire ici.» Ils avaient brûlé le tas d’ordures qu’on avait ramassé la veille. Mais ce n’est pas comme ça qu’on fait ! Brûler, ça pollue les sols et ça pollue l’air. Quand je leur ai dit cela, ils se sont énervés et l’un d’entre eux m’a dit : «Dégagez ! Donnez-moi votre téléphone, vous avez fait des photos !»

Les responsables sont partis et les vigiles se sont occupés de moi. Ils étaient une vingtaine. J’ai été plaqué contre un mur, puis au sol et ils ont essayé de m’arracher mon téléphone portable. Ils ont fini par casser ma carte mémoire. Je ne comprends pas pourquoi ils en sont arrivés là. Ils m’ont agressé pour une action écologique. Lorsque j’ai été porter plainte, les gendarmes m’ont dit : «Laissez tomber, oubliez. Vous n’aviez rien à faire là-bas.» J’ai insisté malgré tout.


- Est-ce que vous allez continuer à nettoyer ?

L’Algérie est toujours polluée. Je continuerai jusqu’à ce que la pollution s’arrête. Cependant, la plus grosse pollution, ce sont les gros sacs d’ordures et les bouteilles. Il faudrait que des véhicules les ramassent. Ensuite, d’autres véhicules spécialisés pourraient tamiser le sable, ce qui permettrait de récupérer les micro-déchets. J’aimerais que tout le monde prenne conscience de cette pollution et qu’il y ait une loi très stricte qui instaure une amende contre les pollueurs. Je ne comprends toujours pas pourquoi malgré le nombre important d’associations qui s’occupent de l’environnement aucune d’entre elles ne nous ait rejoint pour nous aider.

Sur Facebook, j’ai reçu de nombreux messages d’encouragement. Je remercie toutes ces personnes, cela m’a renforcé dans l’idée qu’il fallait continuer. Mais sur la route d’Alger, il y a une dizaine de jours, j’ai vu un homme lancer un sac d’ordures par la fenêtre de sa voiture. Je lui ai dit : «La nature n’est pas une poubelle». Voilà ce qu’il m’a répondu : «Mais l’Algérie, c’est une poubelle !»


Amar Adjili.

Amar Adjili, 48 ans, est né en France, à Trévoux. Sa famille est originaire de M’sila. Il a travaillé pendant 30 ans dans la construction comme maçon. Un accident lui a fracturé la colonne vertébrale et l’a immobilisé pendant plus d’un an.

Aujourd’hui installé avec ses frères à Tipasa, il cherche à se lancer dans la construction écologique en terre et en bois. Il a commencé à ramasser les ordures sur les plages de Chenoua à la fin du mois de mars.
Beratto Leïla

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